Chapitre 1
«La Muse et le Poète»
Comme toutes les histoires, celle de Gabriel commence par une rencontre. La rencontre de deux âmes qui, en apparence, n’avaient rien en commun. Un conte basé sur le jeu des hasards avec lequel la vie s’amuse et dont elle se délecte.
Tout débuta un été, à Florence, dans les années 1970. Antonio Gatti n’était alors qu’un jeune homme. Aussi exubérant que borné, il avait décidé de quitter l’école à l’âge de dix-huit ans pour se consacrer à ce qu’il considérait comme sa vocation: devenir artiste-peintre. Il haïssait les codes, les voies toutes tracées que la société imposait sur lui. Après tout, ne vivait-il pas dans l’une des capitales mondiales de l’art, abritant des richesses que les rois les plus prospères auraient convoitées? C’était, pour le jeune homme qu’était à l’époque Antonio, un signe du destin.
Les débuts, pourtant, furent difficiles. Il avait certes du talent, mais les rues et routes d’Italie regorgent de marchands ambulants, vendant tableaux à foison. Pourquoi aurait-il eu, après tout, le luxe d’être mieux traité que les autres? Plusieurs mois durant, cet artiste en devenir dormit dans des auberges de fortune, ne disposant pas des revenus nécessaires pour s’offrir le privilège d’une demeure. En ce temps, son existence consistait à survivre, se reposant sur les moyens du bord qui, selon la bonne fortune, variaient d’un jour à l’autre. Si le manque de confort n’offusquait aucunement le jeune homme puisque telle était la vie qu’il s’était choisie, un évènement, pourtant, ne tarderait pas à bouleverser à jamais son existence.
Par une après-midi de juin, alors qu’Antonio, à demi-assoupi par la chaleur de plomb qui régnait alentour, surveillait du coin de l’oeil les passants, à la recherche fébrile d’un potentiel acheteur, un homme au crâne rasé, en élégant costume noir dont les yeux étaient dissimulés sous d’épaisses lunettes de soleil vint s’entretenir avec lui.
Il lui désigna une limousine blanche étincelante garée non loin de là et ordonna, dans un mauvais italien:
«Madame souhaite acheter toute ta collection, quel prix t’arrangerait?»
Antonio, à une telle annonce, manqua d’en tomber à la renverse de son tabouret de fortune. Il se contint pour ne pas ouvrir une bouche béante, quelque peu rebuté par la familiarité hautaine avec laquelle l’inconnu s’adressait à lui. D’un air de défi, il répliqua:
« Oh eh bien pourquoi madame ne viendrait-elle donc pas négocier elle même? Je suis sûre que nous pourrions trouver un terrain d’entente!»
Le jeune homme devinait une jambe blanche appuyée sur la plainte de la portière de la voiture, ouverte pour laisser entrer l’air. L’homme ne possédait que quelques notions dans sa langue natale, on le devinait à son accent. Ainsi, bougon, Antonio se permit d’ajouter, marmonnant dans sa barbe:
«Sûrement encore une grosse pimbêche qui se croit tout permis!»
Au même instant, une silhouette fine en robe blanche parvint à sa hauteur et réfuta, dans un italien parfait:
«Pas exactement non! C’est mal de juger sans connaître monsieur...?»
Elle lui tendit une main à la peau très pâle, prête à le saluer. Gêné, Antonio s’efforça de ne pas rougir et leva les yeux pour découvrir face à lui une femme magnifique, perchée sur de hauts talons. Son visage était masqué sous une capeline de paille ornée d’un ruban turquoise. De ses vêtements se dégageait la suave senteur d’un parfum à la fleur d’oranger.
Sous l’allure désapprobatrice de l’homme qui officiait probablement comme garde du corps, Antonio hocha la main que l’on lui tendait et hocha vigoureusement la tête:
« Monsieur Antonio Gatti, mais vous pouvez m’appeler Antonio! Quel tableau vous intéresse? Ils ne sont pas très chers de toute façon, vous savez, je ne suis pas un très grand artiste... Je m’exerce, dirons-nous.»
La jeune femme eut un petit rire cristallin:
«Eh bien enchantée, Antonio. Moi, c’est Hannah. Peu cher vous dîtes? Je crois que votre talent mérite d’être reconnu. Ils ont, je trouve, un certain style, une pâte, comme on dit dans le milieu. Vous avez fait des études d’art, Antonio?»
L’intéressé écarquilla les yeux, interloqué. Elle disait tout ceci avec la plus grande des simplicité, malgré ses allures de duchesse. Le jeune homme ne réagit pas immédiatement, puis bégaya:
« Euh... Merci. Sans vouloir vous offenser,madame, vous pouvez vous procurer des tableaux de bien meilleure qualité.»
Déçue, elle retint un soupir. Antonio sentit sa gorge se nouer. Peut-être avait-il perdu une occasion de se taire. Le garde du corps chuchota à l’oreille de la jeune femme quelque propos dans une langue qu’il ne comprenait pas. De l’Allemand sans doute. D’un geste de main, Hannah lui signifia de se taire et, d’une voix nostalgique, murmura:
«Les richesses, le luxe, toujours la même rengaine! Fais attention à ce que tu dis, tiens-toi droite Hannah, tiens tes couverts correctement! Une vraie dame doit savoir se tenir! Toujours le même discours! Tout ce que je souhaite moi, ce serait de pouvoir courir dans les champs, sentir le vent dans mes cheveux! Me débarrasser de toutes ces fioritures! Adieu robes, chaussures! Il serait tellement plus agréable de pouvoir se promener nue dans les champs de lavande de la Toscane!»
Face au silence d’Antonio, elle se plaqua l’index sur les lèvres et sobrement, se confondit en excuse:
«Pardon, je vous en raconte peut-être un peu trop! Veuillez excuser mon exubérance. Ce que je tenais à vous dire est que c’est cette sensation que je retrouve à travers vos tableaux, Monsieur Antonio. Je confirme, donc, je vous les prends tous.»
La jeune femme, qui, en tout et pour tout ne devait être âgée que d’une dizaine d’années de plus que lui, s’empressa d’ôter de son sac à main des liasses de billets empaquetées. Elle étalait maladroitement le luxe et la richesse qui, pourtant, l’enfermait dans un carcan dont elle cherchait à se libérer.
Elle les glissa dans les mains du jeune homme et, une fois que son garde eut chargé dans le coffre de la limousine l’ensemble des tableaux qu’Antonio avait passé des mois entiers à peindre, elle disparut aussi furtivement qu’elle était venue.
Antonio n’osa même pas compter la somme qu’il avait acquise. Mais, au premier billet avait été attachée une note: « Demain à 19h pour dîner, ça vous tente?»
Soudain, une vieille femme qui avait assisté à la scène lui glissa, balayant l’air de son index:
«Fais attention, mon enfant! C’est une femme mariée!»
Intrigué, il se demanda comment cette femme pouvait connaître un détail aussi personnel. Il ne tarderait pas à le comprendre.Il accepta tout de même le rendez-vous.
Chapitre 2
«L’Ange Gabriel»
Le lendemain, alors qu’il se rendait sur les lieux du rendez-vous, à quelques pas du Dôme, monumentale cathédrale de la ville, Antonio s’arrêta un instant, perdu à la contemplation de l’étalage d’un marchand de journaux. Il reconnut la silhouette d’Hannah en couverture d’un magazine. C’était donc ça! Elle était la coqueluche de la presse à scandale! Le jeune homme n’avait jusqu’alors nullement accordé d’attention à ce genre de feuille de chou, mais cette fois-ci les choses étaient différentes. Le quotidien titrait, d’une façon aussi racoleuse qu’alléchante: « L’outrageuse trahison d’Hannah Löwen.»
Löwen? A la réflexion, ce nom ne lui était pas totalement inconnu. Il l’avait déjà repéré, sans trop s’en préoccuper sur des affiches, des billets jetés à la va-vite dans une poubelle. Enfin, tout lui revint. Hannah Löwen était une célèbre chanteuse d’opéra, une actrice aussi. Mais plus signifiant encore, elle avait épousé un très riche banquier de la Saxe quelques années auparavant.
La vieille femme avait raison. Peut-être serait-il plus judicieux de passer son chemin. Cependant, il repensait au discours qu’Hannah lui avait tenu la veille. De toute évidence, elle ne tirait de cette vie aucune satisfaction, aucun épanouissement. S’il pouvait, par la plus infime tentative, changer cela, il essaierait coûte que coûte.
Il se présenta donc à ce rendez-vous. Puis à un second rendez-vous, puis à tous ceux qu’elle lui proposa. Bien sûr, il connaissait son secret mais jamais ne l’aborda. Il était bien trop naïf pour cela et ne mesurait pas les conséquences de ses actes. Quand éclata un nouveau scandale.
Le mari d’Hannah Löwen était certes fort occupé par les affaires, mais il n’était pas assez dupe pour ne pas formuler de soupçon lorsque son épouse prolongea de deux mois son séjour en Italie, annulant capricieusement une partie de sa tournée prévue en Europe. Un flagrant détail, de plus, confirma la rumeur d’une liaison. Sur les quelques clichés que les paparazzi étaient parvenus à obtenir de la jeune femme, on devinait un ventre rebondi. Seul un être dénué de tout jugement aurait pu croire qu’il s’agissait là du fruit de son union avec son respectif époux.
Mais, le père de cet enfant, lui, fut bouleversé par la nouvelle. L’inquiétude le rongeait. Il parvenait à peine à subvenir à ses propres besoins! Comment parviendrait-il alors à élever sa progéniture?
«Qu’est-ce qu’on va faire alors ? Tu ne vas quand même pas laisser ton mari l’élever, si?» avait-il demandé, un soir.
Hannah avait soupiré, un air coupable sur le visage. Elle avait posé un oeil sur les tiroirs de la commode de sa suite. Ils vomissaient bijoux et pierres précieuses. Les cadeaux qu’elle avait accumulés au fil de ses années de mariage. Et pourtant, elle n’en retirait aucun plaisir. L’idée que cet enfant soit élevé dans toute cette opulence la répugnait. En vérité, elle ne comprenait pas comment sa vie avait pu, à ce point, lui glisser entre les doigts. Que lui avait-il pris d’accepter une proposition aussi saugrenue et de prononcer ce tout petit mot qui change une devant l’autel? Oui. Pourquoi avait-elle dit oui?
Ce soir-là, elle s’était levée et avait saisi colliers et bracelets par poignées, les jetant avec rage par la fenêtre, riant de temps à autre aux éclats. Puis, elle s’était retournée et avait enfin rétorqué:
«Je vais demander le divorce.»
Curieusement, si Antonio avait toujours nié les normes sociales et s’effrayait à l’idée de s’engager, jamais nouvelle ne le toucha plus que celle-ci. C’était avec une fierté sans préalable qu’il pouvait affirmer qu’il serait bientôt papa, ne se souciant plus guère des qu’en-dira-t-on. Il n’aurait pu deviné que, tôt ou tard, ceux-ci le rattraperaient.
Le nouveau couple choisit de s’installer dans un petit village à quelques kilomètres de Florence afin de préserver leur tranquillité. Hannah, à la suite de son divorce, se retrouva privé de la majeure partie de sa fortune, mais peu lui importait. Grâce à ses quelques économies, ils achetèrent une grange qu’ils rénovèrent en maison d’hôte. La jeune femme abandonna la scène, lassée de subir une constante exposition, et ne fit de la chanson qu’un loisir à part entière. Elle sacrifia par conséquent sa passion au profit de sa future famille mais jamais ne regretta ce choix.
Quelques mois plus tard naquit l’enfant illégitime qui, à présent, ne l’était plus. Si le choix du prénom est pour tout parent une étape cruciale, Hannah avait une exigence bien particulière: elle voulait nommer son premier né Gabriel, pour signifier que ce petit ange lui avait permis, malgré lui, de changer de vie. Elle tirait un trait sur ce passé qui l’avait contrainte, usée. Du moins, c’est ce qu’elle croyait.
Antonio continua à peindre, travaillant de temps à autre comme guide dans un des très nombreux musées de peinture de la ville. Quelques années plus tard naquirent deux autres enfants, deux jolies petites filles: Lucia et Rommie.
Chapitre 3
«Coeur brûlé»
Les premières années de la vie des enfants, leur adolsence se déroulèrent dans la plus grande des simplicité, sans accroc ni embûches. La petite famille ne roulait pas sur l’or mais pouvait se permettre de vivre confortablement et s’autorisait de temps à autre le privilège de rendre visite à la famille de Hannah à Munich, en Allemagne.
Puis, quand Gabriel eut atteint l’âge de dix-sept ans, un tragique évènement vint entacher le bonheur des Gatti.
Une nuit, une forte odeur de brûlé se dégagea de la bâtisse. La grange était, comme bon nombre de maisons de campagne, toute de bois construite. Réveillé par une odeur qui leur picotait les narines, chacun des membres se précipita tour à tour dans la cuisine pour constater qu’un incendie s’était déclaré. De longues langues de flammes dansaient sur le parquet et s’enroulaient telles des serpents le long des poutres, grignotant celles-ci. Tandis qu’ils observaient des mois de travail réduits à néant, horrifiés, le toit de la maison s’effondra. Gabriel, instinctivement, se rua vers ses soeurs, repliant ses bras autour d’elles, comme pour leur masquer les yeux. Elles avaient respectivement six et neuf ans quand le drame se produisit.
Le jeune homme, tâchant de garder son calme, les conduisit fermement par la main dans le jardin, où il leur ordonna d’attendre près de la rivière sagement, sans bouger ou chercher à s’enfuir.
Puis, il fondit à nouveau vers la maison, à demi-conscient, afin de porter secours à ses parents. Toutefois, il eut à peine le temps de franchir le seuil de la porte. Et puis, plus rien. Rien d’autre que le noir.
Quand il se réveilla, il se trouvait à l’hôpital, la lèvre profondément entaillée. Ô combien grand fut son soulagement lorsqu’il aperçut, penché au dessus de son lit, les visages de sa mère et de ses soeurs.
«Que s’est-il passé? s’enquit-il, la bouche pâteuse.»
Ecartant les draps, il se releva et balaya la salle du regard. Tout à coup, un pincement au coeur, il interrogea:
« Où est papa?»
Un long silence interrompu par Rommie qui déglutit bruyamment. Il fixa chacune d’elles tour à tour, dans l’attente fiévreuse d’une réponse. Hannah ordonna à ses filles de quitter la pièce et avoua enfin, luttant pour ne pas éclater en sanglots:
«Papa est en garde à vue. L’incendie était d’origine criminelle et les enquêteurs pensent qu’il en est l’auteur.»
Gabriel tressaillit, serra les poings. Puis, il dénia d’un signe de tête. C’était impossible! Jamais son père n’aurait fait une chose pareille! Il le savait bien trop honnête pour cela!
Le jeune homme se leva soudain et se précipita dans le couloir sous les remontrances de sa mère qui lui intimait, en vain, l’ordre de rester allongée, inquiète pour sa santé. C’était là un geste impulsif, mais il ne pouvait attendre: il fallait qu’il sache.
Il arpenta les rues jusqu’au commissariat, où son père se trouvait en détention provisoire. Il le trouva recroquevillé dans le fond de sa cellule, les yeux cernés de noir. Les rides du manque de sommeil. Il cessa brusquement de courber l’échine lorsqu’il aperçut son fils. Il était là, sous ses yeux, et surtout, en bonne santé!
«Gabriel? Qu’est-ce que tu fais là?»
Le concerné se refusa à toute explication et s’empressa de formuler à haute voix son unique souhait:
« T’en fais pas! On va forcément trouver un moyen de sortir de là!»
Un pâle sourire se dessina sur les lèvres d’Antonio. Il affichait un air grave. Soudain, il indiqua à son fils de s’approcher.
«Gabriel, il y a une chose que je dois te dire.»
Celui-ci eut un mouvement de recul, comme apeuré. S’apprêtait-il à lui avouer qu’il était l’auteur de l’incendie? Non, ça n’aurait aucun sens!
Chapitre 4
«Le Secret»
Ce que son père était sur le point de lui révéler, pourtant, était d’un ordre tout autre. Là, sous ses yeux, il le vit se métamorphoser en chat noir aux oreilles grisonnantes. Si Antonio s’était attendu à provoquer la surprise, la réaction de Gabriel ne fut pas celle escomptée. Au contraire, à présent, il comprenait certaines choses.
Durant toute son adolescence, il avait entendu, au détour des rues, les chats de gouttières lui délivrer des messages, des indications. Ils étaient comme des spectres, des anges gardiens. Bien sûr, jamais il n’avait livré cette information à quiconque. Nul n’aurait compris. On l’aurait taxé de fou! Du moins, c’est ce qu’il avait cru jusqu’alors.
«Pourquoi tu ne nous as jamais rien dit? Est-ce que maman sait? bredouilla Gabriel, saisi par l’angoisse, une boule au creux de l’estomac.»
Le chat noir dénia d’un signe de tête et, maussade, confia:
«Non, j’avais peur qu’elle ne comprenne pas.»
Une fois qu’il eut repris sa forme humaine, à travers les grilles de son cachot, il agrippa le poignet de son fils et y remarqua une griffure. La marque. Elle indiquait que le pouvoir avait été transmis.
«Je suis désolé, Gabriel. déclara-t-il, dépité. Prends bien soin de tes soeurs, aide ta mère, s’il te plaît.»
Le jeune homme sentit sa gorge se nouer. Il se cramponna aux barreaux de la cellule, pris d’un accès de rage.
«Mais papa, ils ne vont pas te laisser ici! Ils doivent te libérer! Tu es innocent, je le sais!»
Cependant, avant que son père n’ait pu ajouter autre information, un policier indiqua que l’entrevue touchait à sa fin, l’écarta des portes. Alors qu’il sortait du commissariat, Gabriel observa un chat qui somnolait sous le porche d’une église. A son passage, celui-ci se releva, écarta ses souples pattes et, d’une voix grave, lança au jeune homme:
« Hey toi! Ton père est innocent. Je dormais le long d’une route de campagne, hier, et j’ai vu quelqu’un entrer par effraction dans votre maison. T’es victime d’un complot, mon gars. Toi et toute ta famille.»
Evidemment, Gabriel y avait songé, mais cela jamais ne serait une preuve recevable face à un tribunal.
Son père, qui pourtant n’avait commis aucun crime, fut condamné à dix ans de prison.
Chapitre 5
«Des problèmes d’adulte.»
A la suite de l’emprisonnement d’Antonio, Hannah décida qu’il n’était plus sûr pour ses enfants de rester aux alentours de Florence. Ils déménagèrent par conséquent en Autriche, afin de s’épargner la tâche d’apprendre un nouveau langage. Les Gatti,grâce à leur mère, parlent en effet couramment Allemand.
Ce fut à cette époque, en outre, que Gabriel, malgré son jeune âge, bascula dans ce que l’on nomme la vie adulte. Après l’obtention d’un baccalauréat accès sur l’art et les lettres, il décida de mettre entre parenthèses ses études pour épauler sa mère. Enchaînant les tâches ingrates, il fut serveur dans plusieurs restaurants, puis nettoyeur de latrines, ou encore effectua des ménages chez quiconque formulait requête de ses services. L’incendie avait ruiné la petite famille, tout comme le procès qui l’avait suivi.
C’était harassant, frustrant. Jamais Gabriel n’avait aspiré à une telle vie, et son père, au fond de sa cellule, se morfondait de ne pouvoir être d’aucune aide. Chaque mois, le jeune homme s’efforçait de rassembler de maigres économies, accumulant sa minuscule fortune personnelle.
Hannah, quant à elle, se produisait comme chanteuse dans des cabarets, animait des mariages, des soirées ou des messes, pour subsister, pour joindre les deux bouts.
Après cinq ans de cette vie décousue, Gabriel avait enfin rassemblé assez d’argent dans l’optique de poursuivre ses études. Effectuant de temps à autre des petits boulots, il s’inscrivit en études de lettres à l’université de Graz.
Il n’avait pas réfléchi aux débouchés de cette filière, s’était simplement laissé porter par son coeur, ses envies. Il avait toujours adoré se plonger dans les livres des grands auteurs, avait toujours été fasciné par la communication.
Devenir professeur, pourtant, était une aventure dans laquelle il s’était lancé totalement par hasard. Jusqu'alors, il s'était contenté de suivre, tant bien que mal le cours monotone de l'existence, prétendant qu'il était d'une parfaite normalité. Jusqu'à ce jour où il découvrit, dans sa boîte au lettre, une nouvelle qui changerait à jamais tout ceci.
Le jeune homme décida, un soir, rentrant du travail éreinté, de se préoccuper de son courrier, tâche qui, d'ordinaire, l'ennuyait terriblement. Des dizaines de missives humidifiées par les aléas du temps s'entassaient au fond de ladite boîte aux lettres. Prospectus, publicités en tout genre qui suscitaient chez Gabriel un désintérêt chronique. Une lettre, pourtant, était posée sur le dessus de la pile et semblait dater du jour même. Il s'en saisit et ignora délibérément tout le reste.
La lettre affichait un cachet tout ce qui est des plus officiels. Intrigué, le jeune homme l'ouvrit délicatement. Il lut son contenu une première fois, puis prit une profonde inspiration, tâchant de garder son calme. Il n'osait pas démontrer de vivre voix son enthousiasme, rongé par le pessimisme et croyant tout d'abord à un canular. Cependant, il constata qu'elle portait un tampon cérémonial qui indiquait
Lycée Yokai.Le message qu'elle contenait était plus ou moins le suivant:
" Monsieur Gabriel Gatti,
Nous avons été tenus informé de vos capacités et pensions que vous pourriez être utile à notre établissement. Le lycée Yokai est en effet spécialisé dans l'éducation de jeunes élèves possédant des pouvoirs hors du commun. Nous avons eu vent de votre tempérament, de vos connaissances et pensons également que vous serez en mesure de les conseiller, de les épauler, c'est pourquoi nous vous proposons à ce jour de rejoindre l'équipe enseignante de l'établissement. Des postes restent à pourvoir et, au vu de votre expérience, nous sommes prêts à vous proposer une place en tant que professeur d'Allemand.
Nous espérons que vous considérerez notre proposition.
Veuillez Monsieur, agréer l'expression de nos sentiments distingués.
La Direction.Considérer? Il n'y avait rien à considérer. S'il ne s'était jamais réellement envisagé devenir professeur, il n' hésita pas une seconde et, dans les heures qui suivirent, formula une réponse favorable. Cette offre s'apparentait, en de telles circonstances, à du pain béni!
Gabriel entre donc cette année en tant que jeune professeur d'Allemand inexpérimenté au lycée Yokai, pour le meilleur, le pire, et surtout de nouvelles aventures.