-Et c'est pour cette raison que dans cette tragédie grecque, la funeste fin du protagoniste était décidée dès l'origine, c'était son destin et rien n'aurait pu le modifier.

La cloche retentit , les élèves commencèrent à rassembler leurs affaires et un joyeux brouhaha s'éleva, couvrant les dernières paroles du professeur de littérature. La matinée était terminée et la plus part d'entre-eux se dirigèrent vers la cafétéria pour y passer leur pose du midi. Néanmoins Amadeus n'y allait jamais, il préférait préparer sa nourriture à l'avance et manger dans les jardins ou sur le toit, il n'aimait pas le bruit permanent qui régnait à la cantine, il lui donnait mal à la tête. En cherchant dans son sac Amadeus eut cela dit cette fois-ci une désagréable surprise, son repas ne s'y trouvait plus, il était pourtant persuadé de l'y avoir placé ce matin, étrange.
*C'est peut-être l’œuvre du destin, tragique héros !*
La voix ironique de Bel' venait de raisonner dans sa tête, absurde il avait tout simplement du l'oublier dans sa chambre en partant ce matin. Le destin n'existait pas, il ne s'agissait que d'un concept puéril inventé par des hommes médiocres qui se trouvaient là un coupable tout désigné à tous leurs malheurs si rien ne se passait comme ils le désiraient. Amadeus lui croyait que certains étaient capables d'identifier et de saisir les opportunités que la vie leurs offraient, les autres n'en ayant pas la capacité accusaient la fatalité au lieu de s'en prendre à leur propre faiblesse. Bien évidemment les êtres humains n'étaient pas entièrement maître de leur vie et l'aléa et le hasard existaient mais de là à y voir l’œuvre d'une force supérieure et irrésistible qui prévoyait notre destin à l'avance, il y avait un monde.

Ne pouvant cela dit rien faire pour la disparition de son repas, Amadeus dut se résoudre de mauvaise grâce à se diriger vers la cafétéria, l'endroit était exactement comme il l'imaginait, une véritable marée d'élèves se battaient pour obtenir leurs plats, créant un tsunami de bruits en tout genre allant des rires aux cris de frustration auquel venait se rajouter le fracas des couverts, ça en était presque poétique. L'odeur de friture se mélangeait aux arômes des différentes préparations du personnel de cuisine, Amadeus en avait la tête qui tournait comme sous l'effet d'un parfum trop intense, il savait que la présence du démon dans son corps avait boosté ses sens et notamment son odorat et son ouïe mais il n'en prenait vraiment conscience que lorsqu'il se trouvait dans une foule, il n'était pourtant pas le seul à avoir des sens meilleurs que la moyenne, personne n'était gêné par cela ? Les lycans par exemple....
*Ils supportent déjà leur propre odeur, ils sont immunisés.*
Cette fois l'intervention muette du démon arracha un sourire à Amadeus et le détourna de sa gêne, il s’engouffra dans l'océan de corps et débuta le combat pour obtenir de la nourriture.  

En ressortant de la cohue Amadeus respira à plein poumons, il avait retenu sa respiration dans la foule sans même s'en rendre compte, surement pour se protéger inconsciemment des odeurs. Il s’avança son plateau dans les mains et chercha une table, plusieurs élèves qu'il connaissait levèrent la main pour lui faire signe de les rejoindre mais ils faisaient partie d'un groupe particulièrement bruyant et Amadeus n'était pas sûr de pouvoir le supporter plus longtemps, il inventa une excuse et s'éloigna. Il n'avait pas réellement d'amis car il n'en voyait pas la nécessité mais savait se montrer charmant et la plus part des élèves qui le connaissaient l'appréciaient, il dut donc refuser de rejoindre plusieurs autres tables pour les mêmes raisons. Amadeus commençait à désespérer de trouver un endroit un peu plus calme lorsqu'il remarqua une chevelure d'une couleur tellement claire qu'elle en était presque éblouissante, comme le rayon d'un phare guidant les voyageurs égarés vers le rivage. La jeune fille lui tournait le dos et était assise seule à sa table, c'était exactement ce qu'il lui fallait. Quelque chose le fit hésiter un instant, il connaissait ce blanc immaculé, c'était une couleur plutôt rare et la coïncidence serait trop grande, non il devait forcément s'agir de Yasashi et il doutait qu'elle réagisse bien à sa présence, l'idée de se donner en spectacle en plein milieu du self ne lui disait rien et Amadeus se demanda s'il ne devrait pas plutôt faire demi-tour. Mais son hésitation avait causé un embouteillage et la personne qui était derrière lui et qui cherchait elle aussi une place lui fit remarquer qu'il n'était pas seul. Il se décida donc avec réticence à s'avancer vers la table qu'occupait Yasashi et s'assit en face d'elle.

"Bonjour Yasashi, se rencontrer ici après tout ce temps... Est-ce que tu crois au destin ?"

Comme à son habitude, la voix d'Amadeus était calme et courtoise à tel point qu'on aurait pu croire qu'ils étaient en train bon termes l'un avec l'autre. Ses émotions transpiraient rarement par sa voix, tout simplement car il n'y avait rien à laisser transpirer, il se contentait donc de feindre et au fil des années il était devenu particulièrement talentueux mais il doutait que la chose marche sur Yasashi, ou du moins marche une nouvelle fois. La rencontrer une nouvelle fois était un tel hasard, que les paroles que son professeur avait prononcé un peu plus tôt sur le côté inéluctable du destin lui revint en tête, il s'agissait néanmoins plus d'une blague qu'autre chose, il n'avait rien d'un héros de tragédie pour commencer.

"Je suis ravi de te revoir."

Amadeus lui sourit avec gentillesse, c'était un sourire qu'elle connaissait bien, qu'il lui avait déjà affiché à de nombreuses reprises jusqu'à... Et bien jusqu'à ce qu'il décide qu'il avait d'autres priorités que de s'en faire une amie.

Yasashi Amy retourna à sa place. Elle était en cours de maths, un des cours qu’elle réussissait le mieux, mais auquel elle participait le moins. Elle refusait de se mettre volontairement sous le regard des autres alors qu’elle préférait rester dans son coin. Quel intérêt à attirer l’attention ? Ne rien faire dans son coin était tellement plus intéressant. Oui, elle suivait le cours, mais ne répondait jamais aux questions posées à la classe. Ce coup-ci par contre, le professeur semblait avoir envie d’entendre la voix de la nymphe, car il l’avait forcée à aller au tableau pour y faire tout un exercice. Blasée, sans même jeter un œil à ses camarades de classe, elle l’avait fait et était retournée à sa place. Si on pouvait éviter de l’appeler au tableau, ça serait bien, elle n’aimait pas ça. Mais elle était quand même – malheureusement – obligée d’écouter ce que disaient les profs. Déjà qu’elle ne voulait pas venir ici à l’origine, si en plus elle devait changer ses habitudes pour ce lycée, ça allait pas vraiment le faire. Le cours se poursuivit, toujours aussi peu intéressant pour la jeune fille, mais au moins on ne la fit plus participer. Le professeur avait peut-être enfin compris que ce n’était pas une bonne idée ? Peut-être bien. Au bout d’une demi-heure, elle put enfin quitter ce cours. Elle pouvait donc aller manger.

La cantine… C’était bien l’endroit qu’elle détestait le plus de tout le lycée. Même plus que les salles de cours, c’est dire. Comment les gens pouvaient-ils apprécier cet endroit ? A chaque fois qu’elle en sortait, elle avait gagné un mal de crâne pas possible. Avec tous ces gens qui parlaient en criant presque, essayant de couvrir la discussion de leurs voisins, qui parlaient déjà assez fort. Ajoutons-y le bruit des couverts sur les assiettes, le pire étant lorsqu’ils faisaient, involontairement ou pas, crisser ceux-ci sur les plats. Et en plus, le repas n’était pas bon ! Si elle le pouvait, elle ne viendrait pas et ne mangerait pas, ou à la limite, rapporterait sa propre nourriture. Le seul problème étant qu’elle ne voyait pas d’où elle sortirait les aliments qu’elle prendrait, et son estomac n’accepterait certainement pas de ne pas manger. Elle était donc obligée, ce midi comme tous les autres, de venir contenter son ventre ici. Elle entra dans la cantine, et, une fois qu’elle eut rempli son plateau en essayant de ne pas s’énerver sur tous ceux qui faisaient un boucan pas possible, elle chercha un coin un minimum tranquille où elle pourrait s’installer. Elle refusait de manger avec d’autres gens, ils étaient trop bruyants, trop collants. Le pire c’étaient les garçons. Ils étaient lourds par moments ! C’est pour cela qu’elle préférait manger seule, seule et vite.

La plupart des gens avaient arrêté d’essayer de venir s’installer à la même table qu’elle, le regard froid qu’elle leur lançait suffisait souvent à les décourager. Pour les plus persistants, une parole bien cassante achevait le travail. Comme partout, les gens l’évitaient et elle en était très contente. Elle n’avait pas besoin d’eux. Elle n’écoutait pas vraiment ce qu’il se passait autour d’elle, mais elle entendit une sorte de mini engueulade. Quelqu’un semblait bloquer le passage. Elle s’en fichait, elle continua à manger. Lorsqu’elle vit une silhouette se dresser en face d’elle avant de s’asseoir, elle allait lui lancer un regard froid, mais elle entendit la voix de l’inconnu. Cette voix… ça ne pouvait pas être possible… Elle releva doucement la tête, espérant qu’elle se trompait, que c’était juste une voix qui lui ressemblait… En voyant la personne qui se tenait devant elle, elle eut un stop. Non, elle ne s’était pas trompée, c’était bien lui… Tous les souvenirs qu’elle avait tout fait pour oublier revinrent à son esprit et elle eut un regard perdu pendant un dixième de seconde. Comment se faisait-il qu’il soit là ? Pourquoi ? Pourquoi ne la laissait-il pas tranquille ? Elle réprima les tremblements qui tentaient de l’envahir, ne souhaitant pour rien au monde qu’il les voit. Elle ne voulait pas qu’il voit l’effet que le revoir avait sur elle. Elle était terrifiée, par lui, mais surtout par l’idée qu’il recommence.

«  Amadeus… »

Ce ton… Il pensait vraiment que ça allait marcher une seconde fois ? Il lui avait fait le coup une fois, il n’y arriverait pas une deuxième. Il pouvait bien être ravi, ce n’était pas son cas à elle. Il n’était qu’un traitre. Tout en lui émanait le mensonge et jamais plus elle ne le croirait. Elle en avait honte, mais elle l’avait cru. Elle avait cru en ce sourire, en ce ton amical. Elle lui avait fait confiance. Elle qui n’aimait pas les autres, elle s’était attachée à lui. Et lui… Lui ! Il l’avait trahie ! Il s’était servi de cette confiance et l’avait utilisée ! Son regard se durcit, témoignant de la colère qui l’habitait, coexistant avec la peur qu’elle ressentait. D’un ton froid, encore plus froid que d’ordinaire, elle parla. Elle n’allait pas s’énerver, elle ne devait pas s’énerver. Elle n’était plus la même, elle avait changé !

« Dégage. »

Lorsqu'elle le reconnut son expression se figea un instant et toute vie sembla quitter son visage. Amadeus s'était attendu à ce que son apparition lui fasse un choc il n'était donc pas vraiment étonné. Il avait même envisagé qu'elle laisse éclater sa colère et l'insulte de tous les noms mais elle avait visiblement réussi à se contrôler. Amadeus lui en était gré, supporter une scène en plein milieu de la cantine aurait été des plus déplaisant. Il imaginait déjà que sa soudaine apparition à la cafétéria pour la première fois et le fait qu'il s'assoit seul à une table avec Yasashi allait faire jaser, à l'idée d'être assailli de questions par ses camarades de classe à son retour il retint un soupire de lassitude. Il ne comprenait pas la fascination des gens de son âge pour les romances adolescentes, lui même ne s'était jamais intéressé à la chose et pour éviter toute rumeur inutile il avait déjà préparé sa réponse, il dirait avoir connu Yasashi il y a des années et l'avoir perdu de vue. C'était d'ailleurs la vérité, du moins en partie. Là était toute la subtilité pour dissimuler la vérité, en dire assez pour que la chose soit crédible mais trop peu pour éveiller les soupçons, c'était un art raffiné que peu comprenaient.

Comme il s'y était attendu, la jeune fille fit preuve d'animosité à son égard, Amadeus avait plongé son regard inexpressif dans les prunelles de Yasashi, les yeux de la nymphe étaient glacés, il y discerna toute son hostilité, de la colère, de la souffrance aussi et peut-être même une pointe de peur. A cette vue, une pensée contradictoire frappa Amadeus, ils étaient fondamentalement similaires et pourtant parfaitement opposés. En effet chacun d'eux portaient un masque pour tenir les autres à distance, Amadeus avait choisi la politesse courtoise, conserver des relations superficielles et sans grande envergure avec son entourage, Yasashi elle avait choisi l'isolement et de repousser plus clairement les autres, ils étaient donc identiques sur ce point, ils ne souhaitaient pas s'impliquer avec les autres. Et pourtant ils étaient si différents et c'est à leurs yeux que la chose se voyait le mieux, si Yasashi pouvait paraître froide son regard trahissait une sensibilité qu'elle tentait de dissimuler, à l'opposé du regard d'Amadeus qui lui était complètement vide de la moindre émotion, un regard de mort que seuls les plus avertis semblaient capables d'identifier.

L’hostilité de Yasashi se faisait de plus en plus claire, elle voulait le voir quitter cette table et Amadeus imagina que s'il n'obéissait pas c'est elle qui s'en irait, la chose indifférait totalement Amadeus, il n'était venu s'assoir ici que parce que la table étant légèrement excentrée, elle était plus au calme, il aurait préféré avoir quelqu'un pour faire la conversation durant le repas mais la solitude ne l'indisposait pas. Néanmoins en jetant un regard aux alentours il remarqua que le self avait fini de se remplir et il ne voyait plus aucune place libre nul part, il devait donc faire un choix entre l'irritation de la jeune nymphe ou manger par terre. Il laissa échapper un léger rire cristallin et reporta son attention sur la jeune fille.

"Non, désolé Yasashi mais je reste et il te faudra me supporter durant ton déjeuner à moins que tu ne veuilles manger debout ? D'ailleurs ta compagnie pourrait presque être agréable si tu ne semblais pas prête à me planter ta fourchette dans l’œil."

Une nouvelle fois son ton avait été léger, amusé et tranchait avec l'attitude renfrognée de Yasashi, il était d'ailleurs rare qu'il se départisse de son air frivole, peu importe ce qu'il pensait il mettait toujours un point d'honneur à rester serein et à ne jamais rien révéler de ses vraies pensées, perdre son calme conduisez toujours à faire des erreurs, à agir de manière irréfléchie, à donner des informations à la partie adverse, en bref à donner l'avantage à l'autre. Mais bien qu'il paraisse détendu, Amadeus restait alerte et prêt à agir si jamais la jeune fille tentait quoi que ce soit d’agressif à son égard.
Pour bien montrer qu'il n'avait absolument aucunement l'intention de s'en aller, Amadeus attaqua son plat, c'était sa première visite dans cette cantine et il avait choisi quelque chose qui lui avait paru inoffensif, des légumes cuits à la vapeur accompagné d'une escalope de dinde. A l'instant où il porta la nourriture à sa bouche il sut qu'il avait fait une erreur, les yeux d'Amadeus s'écarquillèrent sous l'effet de la surprise et il ne put retenir une grimace de dégoût, il avait rarement mangé quelque chose d'aussi mauvais ! Il comprenait mieux pourquoi personne n'avait choisi ce plat et le regard des cantinières lorsqu'il s'était servi. C'était immonde et Amadeus repoussa son assiette en faisant la moue.

"Quelle horreur... Comment un plat si inoffensif d'apparence peut-il être aussi mauvais ? Est-ce même légal de servir ce genre de chose à des enfants ?"

Soupirant légèrement à l'idée que son repas venait de cruellement diminuer en taille, Amadeus se rabattit sur une miche de pain tout en lorgnant avec appétit le plat de Yasashi.

En plus de l’avoir légèrement utilisée lorsqu’elle était plus jeune, juste très légèrement hein, il était en train de lui pourrir la vie qu’elle avait réussi à reconstruire. Il se rendait compte des conséquences de son apparition ? Non seulement il rappelait à elle ses souvenirs passés, souvenirs qu’elle avait tout fait pour oublier, mais en plus, maintenant qu’elle n’avait pas réussi à le virer de la table… Non, personne ne viendrait l’embêter avec une soi-disant amourette, il était possible que les gens préfèrent parler d’elle dans leur coin en espérant qu’elle ne les entende pas. Les autres les plus tenaces, en revanche, risquaient de se dire que, vu qu’un autre est passé, ils auront peut-être une chance ! Et adieu la tranquillité pour le seul moment dans la journée où elle était le plus sur les nerfs. Déjà qu’il y avait trop de bruit autour d’elle à la cantine, si en plus des gens venaient lui parler, elle allait se tirer une balle ! Enfin non, pas vraiment, mais bon.

Elle n’aimait pas ce regard. En même temps, elle n’aimait rien de lui. Mais ce regard, l’inexpression qu’il transmettait, elle n’arrivait pas à s’y faire. Il faut dire qu’elle avait eu le temps de le voir un bon nombre de fois, et pas dans les moments les plus propices à ce qu’elle en ait de bons souvenirs. C’était probablement à cause de ce regard, de cet homme, qu’elle était ainsi. Il l’avait trahie et utilisée, oui, mais il serait le dernier. Ce n’était pas vraiment ce regard qui avait eu ce résultat, mais plus ce regard APRES qu’il lui ait sourit, qu’il ait été gentil. Il serait le dernier à la trahir, le dernier à qui elle ferait confiance. C’est ce qu’elle s’était dit après s’être échappée. Le seul endroit où elle n’avait pas pris entièrement ce comportement, c’était chez elle. Ses parents n’avaient rien à voir là-dedans, elle savait qu’elle pouvait leur faire confiance. Ils étaient et seraient à jamais les seuls.

Il le faisait exprès pour l’énerver ? Si c’était le cas, il y arrivait parfaitement. Elle ne savait pas vraiment si elle réussirait longtemps à se retenir de lui dire ce qu’elle pensait. Surtout s’il continuait à utiliser ce ton désinvolte, presque amusé. C’était comme s’il ne lui avait rien fait ! Comme s’il ne lui avait pas gâché la vie ! Soit il était totalement idiot, hypothèse que Yasashi Amy mis immédiatement de côté, elle savait parfaitement que c’était faux, soit il le faisait exprès, hypothèse qu’elle n’apprécia pas du tout, soit il était comme ça de nature, et là, c’était probablement le pire. Par contre, en se concentrant sur ce qu’il racontait, elle lui lança un regard neutre, malgré toute la haine qui bouillait en elle. Il voulait jouer sur l’inexpression des regards ? Elle savait faire aussi, même si elle n’aimait pas. Elle trouvait que c’était mentir que de ne pas laisser ses yeux exprimer ce qu’ils doivent. Après tout, on dit bien que les yeux sont le reflet de l’âme.

« Vois-tu, je préfèrerais encore ne pas manger. Cependant, mon estomac n’est pas du même avis et je ne le sacrifierai pas pour toi, ce serait t’accorder de l’importance. Ensuite, je ne te planterai pas ma fourchette dans l’œil, ça la salirait trop, et je ne pourrais plus continuer mon repas. Tu m’as déjà gâché la vie, tu ne gâcheras pas mon repas. »

Elle recommença à manger, n’ajoutant rien, mais n’en pensant pas moins.
En entendant la réflexion d’Amadeus, elle fit un sourire méchant presque carnassier. Elle jeta un œil à ce qu’il avait pris et se retint de rire. Il aurait pu prendre ça dans un mauvais sens. Il avait choisi le pire plat qui soit dans cette cantine ! C’en était presque hilarant. Il fixait même le plat de la jeune fille avec envie, ce qui rendit le sourire de celle-ci encore plus large. Il pouvait toujours rêver pour avoir ne serait-ce qu’une miette de ce festin. Festin comparé à ce qu’il avait pris, évidemment. Son choix avait fait qu’il aurait faim toute la journée et cela enchanta la demoiselle. Elle continua à manger devant lui, un moment, lentement.

« C’est trop bête d’avoir choisi ce plat-là ! Tu ne vas rien manger du coup, comme c’est triste ! Ceci dit, j’espère que tu ne te considères pas comme un enfant, ils sont trop purs et innocents, ce que tu n’es pas. »

Sa dernière phrase fut froide et sans sourire, mais ses yeux continuaient à être neutres.

La première remarque de Yasashi lui paru puérile, se pensait-elle dans une cour de récréation ? Allait-elle aussi dire à tous ses amis de faire comme s'il n'existait pas ? On ne choisissait pas d'accorder de l'importance à quelqu'un dans sa vie, on ne décidait pas de tomber follement amoureux d'une personne comme on ne prévoyait pas à l'avance les personnes qui vous feraient du mal et dévasteraient votre existence. Ces choses arrivaient d'elles-même, elles vous tombaient dessus sans prévenir et sans que vous puissiez lutter. Elle prétendait qu'elle ne lui accordait pas d'importance et pourtant Amadeus était persuadé que c'était faux, il avait bouleversé sa vie en la rencontrant quelques années auparavant et cela avait du la marquer, la changer. Peut-être même ne s'en rendait-elle pas contre mais elle n'avait pas pu ressortir indemne de leur rencontre.

Néanmoins Amadeus ne crut pas bon de prendre la peine d'exprimer ses pensées à haute voix, à la place il se contenta de lui lancer un regard sceptique particulièrement appuyé, il la savait assez intelligente pour qu'elle comprenne qu'il ne l'avait pas cru. Il avait d'ailleurs une autre raison de douter de la sincérité de ses propos. Selon lui ce qui retenait réellement Yasashi c'était son instinct de conservation. Elle ne l'attaquait pas parce qu'elle ressentait qu'elle ne pourrait pas triompher de lui par la violence. Une sorte de sixième sens animal que même les humains possédaient lorsqu'ils étaient face à ce qu'ils identifiaient comme un prédateur. Un réflexe inconscient qui pousse à la retenu voir à la fuite. C'était la peur qui l'empêchait d'agir, une peur primale et enfouit dans les gênes de chaque être vivant doté d'intelligence.

Les réactions de la jeune fille aux déboires alimentaires d'Amadeus furent intéressantes, elle prenait clairement plaisir à son déconvenue et elle semblait ressentir une sorte de satisfaction perverse à l'idée qu'il passe la journée sans manger. Amadeus eut un léger sourire amusé et presque condescendant à cette idée, y voyait-elle une sorte de minuscule revanche pour ce qu'il lui avait fait subir ? Pensait-elle que le Karma était à l’œuvre ? Comme elle le connaissait mal si elle pensait que sauter un repas pouvait l'affamer jusqu'au repas du soir. La chose n'était cela dit pas étonnante, il ne lui avait jamais rien dit de son passé, elle ne pouvait donc pas être au courant du traitement que son père lui avait infligé durant des années, que ce soit les sévices physiques quotidienne ou les privations de nourriture. Il avait connu la faim, pas la légère indisposition que créait le fait de manger un peu en retard, non la vraie faim, la sensation immonde qui envahie tout votre corps lorsque vous avez atteint la limite du tolérable et qu'il vous faut trouver de la nourriture à n'importe quel prix. C'était l'une des pires torture que l'on puisse imaginer, elle était bien plus terrible que n'importe quelle douleur physique, elle venait de l'intérieur et électrisait tout votre organisme, vous régressiez alors à l'état de bête sauvage obnubilée par une seule pensée unique : manger. La nourriture qui était présente dans son assiette était infecte et était surement l'une des pires qu'on lui avait servi à une table mais elle était infiniment meilleure que ce qu'il avait du s'abaisser à manger dans sa geôle. Amadeus rapprocha donc une nouvelle fois l'assiette et y planta sa fourchette avec lenteur, il coupa quelques aliments et les porta à sa bouche, prenant bien soin de les mâcher longuement avant de les avaler. Son visage resta impassible malgré le goût infect et son regard demeurait vide durant toute la scène n'avait pas quitté Yasashi une seule seconde. Après quelques bouchées, il répondit d'une voix polie.

"Vois-tu Yasashi, j'ai bien peur que tu ne saches que peu de choses sur moi. Oh ! Ne prends pas la peine de me répondre que cela ne t'intéresse pas je le sais bien. Mais tes jugements sont hâtifs et superficiels. Cela te portera préjudice à l'avenir... Ou devrais-je dire cela te portera préjudice une nouvelle fois ? Quand au fait de me considérer comme un enfant ou pas..."

Amadeus marqua une pause et réfléchit un moment, pur et innocent il l'avait été il y a de cela des années mais il avait été blessé, il avait souffert au delà de ce qu'il pouvait supporter, il avait perdu la seule chose qui comptait pour lui et était devenu froid et calculateur, un monstre de logique pure et implacable, c'était la seule solution qu'il avait trouvé pour survivre. En cela il avait en effet perdu toute innocence, on la lui avait arrachée, ce n'était pas quelque chose qu'il avait voulu. Mais sa pureté ? La notion était d'ailleurs sujette à interprétation et de son point de vue il ne l'avait pas perdu, son objectif n'était-il pas pur ? Désintéressé ? Mais encore une fois comment aurait-elle pu le savoir avec une telle analyse de surface? Un nouveau sourire amusé s'étira sur le visage d'Amadeus.

"Qui a dit que les enfants devaient être purs et innocents ? Ils sont à l'image de l'éducation qu'on leur donne. Si tu as peur de quelqu'un, alors frissonnes à la pensée de celui ou celle qui l'a transformé en ce qu'il est. Et tu devrais faire attention aux mots que tu utilises, une personne a dit un jour que la seule chose pure à exister en ce bas monde c'était le mal. Tu vous ma présence n'est pas si désagréable que ça Yasashi, je t'apprends même des choses, on devrait se voir plus souvent !"

Sa dernière phrase avait été prononcée avec un extrême enthousiasme et continuait de trancher avec la froideur de la jeune nymphe, il doutait qu'elle change un jour d'attitude à son égard mais il continuerait à lui parler amicalement et elle ne le chasserait pas avec de l'hostilité et de l'indifférence.

Le regard qu’il lui lança après sa première remarque, Yasashi Amy l’interpréta très rapidement. Il ne l’avait pas crue ? Eh bien soit, cela importait peu. S’il croyait vraiment qu’elle lui accordait de l’importance en ce moment même, il se trompait. Oui, il lui avait pourri la vie, il avait gâché un moment de son existence, ça c’était vrai. Elle ne s’en souvenait que trop. Elle savait que ça l’avait changée, que ça l’avait encore plus éloignée des autres, mais maintenant ça n’avait plus d’importance. Il n’avait plus d’importance. Il en avait eu avant, mais n’en aurait plus. Elle allait passer outre cette haine qui l’habitait et accepter qu’elle puisse le rencontrer à nouveau dans ce lycée. Elle avait peur, oui, mais cette peur ne la ferait pas fuir. Jamais. Elle avait fui une fois face à lui et ne recommencerait pas. Qu’il puisse croire le contraire n’y changerait rien.

Oui, Yasashi Amy était contente qu’il ait choisi ce plat. Elle se fichait de savoir s’il aurait faim ou non. En fait, sa remarque était surtout destinée à lui faire comprendre qu’il n’était pas le bienvenu à cette table et qu’il pouvait enlever immédiatement ses fesses de son siège pour aller voir ailleurs si elle y était. Mais apparemment, il ne semblait pas avoir une telle intention. Lorsqu’il reprit son assiette avec un léger sourire, elle haussa légèrement un sourcil. Il était sérieux ? Il allait manger ce plat ? Non, ce n’était même pas un plat, c’était juste un assortiment de choses plus ou moins comestibles mis ensemble dans une même assiette. Il n’affichait aucune expression, mais elle doutait que son palais soit aussi peu expressif. Ceci dit, ça ne le changeait pas beaucoup de son habitude, ses yeux n’exprimaient jamais rien, ce qu’elle détestait fortement d’ailleurs. Elle le laissa parler de sa voix si polie, mais maintenant elle savait que rien de ce qu’il pouvait laisser filtrer par sa voix n’était vrai. Il marqua ensuite une pause, mais elle savait qu’il n’avait pas fini. Pas par politesse, plus par curiosité, curiosité sur ce qu’il allait lui répondre.

« Il est vrai que je sais peu de choses sur toi, mais ce que je sais me suffit pour savoir que je ne peux plus admettre de te laisser m’approcher, c’est cela qui me porterait préjudice. Ceci étant dit, tu dis cela de moi alors que c’est tout autant valable pour toi. Tu ne sais rien de moi, rien. J’ai eu une vie avant de te connaitre et après t’avoir connu. Je ne suis plus la Yasashi que tu as connue, je ne suis même plus Yasashi en fait. Donc ne parle pas de jugement hâtif et superficiel venant de moi alors que tu fais exactement la même chose. Ensuite, le propre de l’enfance est l’innocence. Si l’éducation qu’on leur inculque leur retire cette innocence, alors ils ne sont plus vraiment des enfants. L’enfance s’arrête lorsque l’innocence disparait, c’est mon point de vue. Il ne sert à rien de rester dans le passé, donc si j’ai peur de quelqu’un, la personne qui a fait de lui ce qu’il était m’importe peu. Le passé fait de nous ce que nous sommes, on ne peut le négliger, mais il ne faut pas rester bloqué dedans, sinon on ne pourra jamais avancé. Mais il faut apprendre de ses erreurs, et c’est précisément pour cela que je ne te laisserai plus m’approcher comme tu l’as fait autrefois. »

La seule réponse qu’il avait eu à son enthousiasme ne fut pas de la froideur, mais un manque d’expression et de ton le plus total. Elle avait débité tout cela comme on récite une leçon, mais on sentait pourtant parfaitement qu’elle croyait en ce qu’elle disait et qu’il ne lui ferait pas changer d’avis.

Amadeus continuait de planter sa fourchette dans son plat a intervalle irrégulier, la nourriture était infâme mais le souvenir de ses années de privation la rendait presque mangeable, il ne s'agissait en définitif que d'une déplaisante sensation sur sa langue, une simple information que son palais transmettait à son cerveau et il pouvait décider de l'ignorer. Son estomac quand à lui pouvait digérer à peu près n'importe quoi, c'est une capacité qu'on acquiert souvent lorsqu'on on a connu la famine, et il ne s’inquiétait pas de vomir les aliments qu'il était en train d'ingurgiter. Il continuait donc de manger, choisissant volontairement de ne pas prêter attention aux informations que son cerveau avait enregistré sur cette nourriture, se concentrant uniquement sur l'action à faire avec sa fourchette, le côté mécanique de la chose prit rapidement le dessus.

Après quelques instants Amadeus arrêta de nouveau, son assiette était désormais bien entamée, il n'était absolument pas d'accord avec la vision de Yasashi de ce qu'était un enfant, il remarqua non sans amusement qu'elle n'avait pas refait référence à la notion de pureté ce qui constituait déjà une modification par rapport à son affirmation de base. Elle prétendait donc ne pas lui accorder d'importance mais ne venait-elle pas de modifier son jugement uniquement parce qu'il venait de prononcer une phrase ? Amadeus n'était même pas sûr qu'elle l'ait remarqué. De plus il trouvait sa définition très arbitraire et critiquable, comment déterminer avec exactitude le moment où un enfant perd son innocence si celui-ci ne subit pas traumatisme important ? La chose est progressive et extrêmement difficile à déterminer voir impossible. Il trouvait aussi l'idée de Yasashi profondément inique puisqu'elle revenait à sanctionner les enfants a qui leur innocence avait été arrachée par la cruauté de la vie en leur ôtant à nouveau quelque chose, leur statut d'enfant. C'était une définition naïve et elle n'en avait surement pas mesuré toutes les implications. Amadeus avait une vision très différente de l'enfance : il s'agissait d'une période d'apprentissage durant laquelle l'enfant prenait en exemple ou en contre-exemple les personnes qui l'éduquaient et le guidaient durant le début de sa vie. Sa définition lui paraissait fondamentalement meilleure pour deux raisons, d'abord car elle rendait bien plus aisée la délimitation du passage de l'enfance à l'âge adulte et surtout elle était bien plus neutre, elle ne divisait pas le monde de manière manichéenne entre ce qui est bien d'un côté et ce qui ne l'est pas de l'autre, non sa définition était applicable en toute circonstance et à toute époque, elle englobait toute les situations. Cela dit Amadeus ne prit pas la peine d'énoncer ses conclusions à voix haute, Yasashi ne l'écouterait surement pas et un point l'intéressait bien plus.

"C'est vrai tu n'es plus la même Yasashi, certains de tes traits physiques me semblent légèrement différents, j'avais supposé que cela devait être un phénomène normal pour ceux de ton espèce mais puisque tu en parles ainsi j'imagine que ce n'est pas le cas... Cela dit je ne vois pas pourquoi tu prétends que je t'ai jugé superficiellement, quel jugement ai-je fait à ton égard exactement ? Il me semble que c'est plutôt toi qui m'as jugé jusqu'à présent et non l'inverse. Et d'ailleurs même si c'était le cas cela ne serait absolument pas un argument, quand bien même mes jugements seraient hâtifs et incomplets cela n'enlèverait rien au fait que les tiens le sont tout autant."

La jeune fille avait une nouvelle fois était claire sur sa volonté de ne plus avoir à faire avec Amadeus, la chose était compréhensible il lui avait fait beaucoup de mal par le passé et la réaction de rejet de Yasashi était cohérente, a moins qu'elle est été masochiste ce dont il doutait fort. Néanmoins elle commettait une erreur en lui parlant ainsi, il devait corriger cette habitude qu'elle semblait avoir prise de montrer les crocs à tout le monde. Il y avait des personnes dangereuses dans ce lycée, bien plus que lui et elle ne pourrait pas se permettre de leur parler ainsi, du moins si elle voulait survivre à leur rencontre. Mais Amadeus savait qu'elle ne l'écouterait pas s'il se contentait de lui faire la remarque, il devait lui faire comprendre que dans certains cas elle devait changer sa façon de faire et il ne voyait qu'une seule façon d'y parvenir.

"Admettre que je m'approche de toi ? Me laisser m'approcher ? Mais ma pauvre Yasashi qu'est-ce qui te fait croire que tu es libre de ce choix ? Prenons une hypothèse, imaginons que je sois une personne arrogante et orgueilleuse comme tu sembles le penser. Dans ce cas tes paroles ont du blesser mon ego n'est-ce pas ? Il est donc probable que j'essaye de me venger, je me demande comment je m'y prendrais dans ce cas..."

Amadeus marqua une nouvelle pose mais elle était très différente de la précédente, cette fois il ne s'agissait pas d'un temps de réflexion mais uniquement de laisser le temps à l'imagination de Yasashi d'anticiper le pire. C'était le seul moyen qu'il avait trouvé, il allait lui montrer qu'elle devait changer sa façon de faire en lui montrant les résultats qui pouvaient en résulter. Continuant de lui sourire avec gentillesse il lui demanda d'une voix sucrée.

"Comment vont tes parents Yasashi ?"

La menace n'était pas clairement énoncée mais elle était limpide, il lui suffisait d'un coup de fil anonyme au gouvernement du pays où habitaient ses parents, voir pire il pouvait prévenir l'une de ses ligues que les humains avaient créé illégalement pour chasser les monstres car ils trouvaient leur gouvernement trop coulants envers ce qu'ils considéraient être une menace. Il pouvait faire de la vie des parents de Yasashi un enfer voir pire.  

Evidemment que ses traits avaient changé. En effet, par sa fusion avec Amy, elle avait été aspirée par le corps de l’humaine en quelque sorte. Elle avait modifié l’apparence de la jeune fille involontairement et lui avait donné un visage assez semblable au sien, mais pas exactement le même. D’ailleurs, ses yeux n’étaient plus les siens, mais étaient restés ceux de l’humaine, de beaux yeux bleus azur. Non, les nymphes ne changeaient pas d’apparence en grandissant, peu de races devaient avoir ce genre de caractéristiques.

Elle ne répondit pas à la question de son interlocuteur, elle n’avait pas envie de s’étendre sur le sujet, elle sentait qu’il allait lui prendre la tête. Elle avait bien vu qu’il passait le sujet de l’enfance sous silence, surement qu’il n’était pas du même avis qu’elle… Elle n’en avait rien à faire. S’il pensait qu’elle allait refaire les mêmes erreurs que dans son passé, il se trompait. Et ce qu’elle avait à son égard n’était pas un jugement infondé et hâtif, c’était le résultat du comportement qu’il avait eu envers elle. Pas une lubie quelconque.

Arrogante et orgueilleuse ? Non ce n’était pas vraiment ce qu’elle pensait. Son avis à elle était plutôt qu’il était quelqu’un d’égoïste et qui se fichait complètement des autres. Elle savait qu’elle était dans le même cas, mais elle, elle avait des raisons. Il l’avait utilisée comme cobaye pour avoir eu confiance en lui, il était donc normal qu’elle dédaigne les autres au point de vouloir rester seule. En y repensant, il avait peut-être des raisons d’agir ainsi, c’est vrai, mais on n’a jamais de raisons pour faire du mal aux gens qui ne nous ont rien fait. Elle ne faisait de mal à personne en restant seule, elle.

Que ses paroles blessent son ego, elle s’en fichait royalement, ce n’était pas son principal objectif. Elle voulait qu’il la laisse tranquille, qu’elle puisse enfin essayer de passer outre ce moment douloureux de son passé. Et ce n’était pas en le voyant et en lui parlant qu’elle allait y arriver. Cependant, la suite de ses paroles ne lui plut pas trop. Il voulait qu’elle imagine ce qu’il ferait pour venger son ego blessé ? Probablement plein de choses pas très sympathiques. Ceci dit, vu qu’il utilisait le conditionnel, c’était que ce n’était pas le cas, donc la question ne se posait pas. Même si elle préférait ne pas imaginer ce qu’il trouverait comme idée en représailles…

Elle n’avait pas cessé de manger pendant la discussion, ou plutôt le monologue d’Amadeus, et elle avait presque fini de manger. Elle était en train d’avaler une des dernières bouchées de son repas lorsqu’il posa sa question. Elle manqua de s’étouffer et leva les yeux vers lui. Et il disait ça en souriant en plus ?! Elle fronça les sourcils en silence, toussant pour reprendre sa respiration. Il menaçait ses parents ? En souriant ? Avec cette voix ? Elle reposa sa fourchette, essayant de ne pas massacrer le plateau en faisant ce geste, et lui lança un regard mêlant froideur et haine. Il n’avait pas intérêt à approcher ses parents. Cependant, elle ne voulait pas le menacer, il n’en valait pas la peine.

« Je risque de blesser ton ego ? Bien. »

Elle se leva, prit son plateau et commença à aller le poser à l’endroit prévu à cet effet. Elle savait que s’il continuait et qu’elle restait, elle allait s’énerver, et elle ne voulait pas s’énerver et faire une scène. Elle avait été bien mieux éduquée.

Amadeus n'avait pas eu réellement l'intention de dénoncer ses parents, il n'avait aucune raison valable de le faire. Comme il l'avait dit c'était elle qui semblait imaginer qu'il était une personne orgueilleuse, elle se trompait. Amadeus ne portait pas plus d'intérêt à lui-même qu'aux autres. Il se fichait éperdument de ce qui pouvait lui arriver et le fait d'être reconnu, admiré ne l'intéressait pas. D'ailleurs la plus part de ses actions depuis son arrivée au lycée Yokai avait été faites depuis les coulisses, laissant les pantins s'agiter sur la scène et en retirer toute l'attention pendant qu'il tirait les vraies ficelles du pouvoir dans l'ombre. La reconnaissance et la gloire étaient des choses sans valeur à ses yeux, en effet il n'accordait pas assez d'importance aux gens qui l'entouraient pour s'intéresser à leurs avis et a fortiori ce qu'ils pouvaient bien penser de lui le laissait de marbre. Mais il ne voyait pas l'utilité de détromper Yasashi, après tout elle disait le haïr, peut-être qu'un jour elle voudrait se venger de lui et plus elle se tromperait à son sujet moins il y avait de chance que sa vengeance frapper juste, la laisser dans l'erreur était préférable, de toute façon il doutait qu'elle le croit s'il venait à lui dire qu'elle avait tort.

Il guettait la réaction de la jeune nymphe. Il était néanmoins étonné par son attitude, qu'elle se lève après qu'il ait indirectement menacé ses parents était étrange. Peut-être avait-il sous-estimé l'amour qu'elle leur portait ou peut-être ne l'avait-elle pas pris au sérieux. Il restait perplexe sur son indifférence de façade face à sa menace, peut-être bluffait-elle, il n'y avait qu'un seul moyen de s'en assurer. C'est pourquoi Amadeus sortit lentement son portable de sa poche et le posa sur la table près de son plateau, avant de continuer d'une voix neutre.

"Très bien Yasashi, je n'ai pas du être assez clair. Ce que je viens de faire c'était une proposition, du genre pacte avec le Diable. Tu penses que si tu restes trop près de moi tu vas souffrir de nouveau. Je ne nie pas que c'est une possibilité bien que cela ne soit pas dans mes objectifs. Mais si tu t'en vas maintenant, si tu décides de m'ignorer, je pourrais bien passer un coup de fil. Je crois avoir des informations sur tes parents qui pourraient intéresser certains... Groupes ? Mais tu as raison Yasashi tu es absolument libre de faire ce choix. Tu seras le bourreau et je serais la hache, alors n'hésites pas, il vaut mieux que ce soit d'autres personnes qui souffre plutôt que toi non ?"

Amadeus tapotait doucement du doigt sur l'écran de son portable,
Yasashi avait l'air de croire que chaque parole qu'il prononçait était un mensonge. Elle se trompait sur ce point, il mentait peu. Mais les mots sont sujet à interprétation, qui pouvait-il si les gens n'étaient pas capables de percer le vrai sens de ses paroles ? Ils manquaient de nuance, ils sautaient aux conclusions, il ne pouvait quand même pas être tenu responsable de la négligence des autres. S'ils étaient assez insouciants pour tomber dans ses pièges, tant pis pour eux. Et malheureusement pour elle, un affreux piège était en train de refermer ses mâchoires autours de Yasashi, ce n'était cela dit pas dû à sa négligence et elle n'aurait surement rien pu faire pour l'empêcher. Amadeus avait toujours su comment faire plier les gens, on avait tous un ou plusieurs points faibles et il suffisait de les identifier. La plus part du temps il suffisait de s'attaquer à ceux qui étaient vraiment chers à la personne. Les gens qui recouraient à la violence physique pour faire plier les autres n'étaient que des imbéciles, ce n'était pas comme cela que l'on s'assurait de sa domination sur une personne, non pour cela il fallait s'en prendre à ce qu'ils avaient de plus cher. Une nouvelle fois il lui sourit avec courtoisie et lui désigna poliment la chaise qu'elle venait de quitter.

"Je suis sûr que nous pourrions nous entendre à merveille, comme auparavant."

La réalité était différente, ce n'était pas son amitié qu'il visait, il était bien plus intéressé que cela, comme d'habitude et elle devait s'en douter. Mais pourquoi devrait-il la prévenir ?

Yasashi Amy était inquiète en se levant pour s’éloigner de lui. Sérieux ? Elle savait qu’il l’était, il l’avait toujours été. En partant, elle espérait qu’il allait laisser ses parents tranquilles, après tout, ils n’avaient rien à voir là-dedans, ils n’avaient jamais eu quelque chose à voir avec lui. Probablement qu’il s’attendait à une autre réaction de sa part, qu’elle s’énerve, ou qu’elle lui obéisse au doigt et à l’œil, mais elle ne voulait pas. Ceci dit, il était probable qu’elle le fasse si la menace pour ses parents était vraiment trop élevée. Ce qui ne manqua pas d’arriver.

Elle s’était retenue de se retourner en entendant le bruit de la rencontre du portable avec la table. Elle n’aimait pas ça et voulait savoir ce qu’il faisait, mais elle refusait de jouer le jeu d’Amadeus. Dès qu’il prit la parole cependant, elle se stoppa écoutant ce qu’il avait à dire. Au fur et à mesure qu’il parlait, les dents de la jeune fille se serraient. Ce n’était pas la pire chose qu’il pouvait faire, il aurait pu directement donner les informations et ainsi condamner ses parents, mais il avait choisi de ne pas le faire, choisissant une manière plus… vicieuse de faire les choses. Il venait de confirmer la réelle menace qu’il représentait pour la famille de la nymphe, et elle savait parfaitement qu’il le ferait. Il la connaissait trop, il savait qu’elle ferait tout pour qu’il ne le fasse pas et ça la mettait en rogne.

Oui, oui elle pensait que si elle restait près de lui elle allait souffrir. N’était-ce pas précisément ce qu’il se passait en ce moment même ? Il avait déjà pourri sa vie et il recommençait, même si ce n’était pas de la même façon. Rien qu’être dans la même pièce que lui la faisait souffrir. Elle ne voulait plus le voir, elle voulait que le passé reste dans le passé… Le pire c’est qu’il admettait qu’elle risquait de souffrir. Mais elle ne « risquait » pas ! Elle souffrait déjà ! Toujours debout, dos à lui, près de la table, elle avait envie de pleurer. Elle ne lui ferait pas ce plaisir, elle était plus forte que ça. Elle se retourna juste à temps pour le voir désigner la chaise sur laquelle elle était assise quelques instants plus tôt et elle serra les dents. Elle savait que quel que soit le choix qu’elle allait faire, elle allait s’en vouloir. Mais il avait raison sur un point : elle ne ferait pas souffrir ses parents pour être heureuse… C’est pourquoi elle alla reposer son plateau, avec un manque de délicatesse flagrant, et qu’elle se rassit, croisant les bras.

Il pouvait toujours courir pour qu’ils s’entendent bien, pour cela, il avait raté le coche. Comme si elle allait s’entendre avec celui qui lui avait pourri la vie, mais qui en plus, venait de menacer ses parents. Non, jamais elle ne pourrait s’entendre avec lui. Cependant, elle fronça légèrement les sourcils. Il essayait de redevenir ami avec elle. Ça pourrait paraitre anodin pour n’importe qui, mais pas pour Yasashi Amy. Et encore moins quand la demande venait d’Amadeus. Elle l’avait considéré comme un ami il y a longtemps de cela, mais lui, l’avait-il vraiment considérée comme autre chose qu’un futur cobaye ? Elle en doutait. Il l’avait donc approchée uniquement pour cela et elle le savait. En suivant ce raisonnement, s’il tentait de réduire la distance entre elle et lui une nouvelle fois, ce n’était pas pour son amitié, il savait probablement fort bien qu’il ne l’aurait plus jamais. Non, il devait vouloir autre chose… Mais quoi ?

« Tu n’as rien à faire qu’on s’entende bien ou pas, comme la dernière fois d’ailleurs, ose dire le contraire. Que veux-tu ? Qu’est-ce qui t’intéresse ? »

Elle savait qu’elle aurait dû se taire, essayer de déterminer elle-même ce qu’il voulait, mais elle ne pouvait pas se permettre de s’attacher à lui à nouveau, donc elle devait rester sur la défensive.

Amadeus ne s'était finalement pas trompé sur le compte de Yasashi, sa menace avait fait mouche. Il l'avait vu marquer un moment d'arrêt avant de revenir vers lui. En la voyant faire Amadeus ne put retenir un sourire satisfait. Malgré ses airs froids, il savait que Yasashi n'était pas assez indifférente pour laisser d'autres souffrir à sa place particulièrement des gens qui lui étaient proches. C'était la faiblesse de la quasi totalité des être sur cette planète : les gens auxquels ils tenaient le plus, c'est ce qui rendait Amadeus si dangereux, parce que lui n'avait personne. A partir du moment où vous compreniez cette chose la manipulation devenait une chose simple. Pourquoi s’encombrer de plans alambiqués et fumeux qui échoueraient à cause de leur complexité alors qu'une simple menace bien placée suffisait ? Bien évidemment de la subtilité était parfois requise lorsque l'objectif a atteindre était plus difficile, il en savait quelque chose, mais cela restait des cas exceptionnels.

Yasashi s'était rassise mais le regard qu'elle lui lançait ne laissait aucun doute planer, elle le détestait, peut-être même la répugnait-il mais il l'effrayait, elle l'imaginait capable de tout et elle n'avait pas tort. L'empathie lui était étrangère et les règles morales lui paraissaient inférieures en importance à son but final. Il continuait de dévisager Yasashi, indifférent aux regards qu'elle lui lançait. Ce qu'elle venait de lui dire était intéressant, elle revenait encore sur leur dernière rencontre mais plutôt de l'accuser de l'avoir simplement trahi, cette fois-ci elle affirmait qu'il n'en avait rien eu à faire qu'ils s'entendent bien. Les sourcils d'Amadeus s'arquèrent légèrement.

"Tu te trompes Yasashi, tu étais une personne dont la présence m'était agréable malheureusement j'avais besoin d'acquérir certaines informations et tu étais la seule façon d'y parvenir."

Le ton de voix d'Amadeus avait été honnête, chose assez rare pour être soulevée. Il avait apprécié ses conversations avec Yasashi autrefois, il n'irait pas jusqu'à dire qu'elle avait été une amie, il n'en avait jamais eu. Mais il avait du choisir entre elle et une chose en laquelle il croyait plus qu'à tout le reste, il avait donc trahi Yasashi sans la moindre hésitation, sans le moindre remord. Elle lui demandait ses raisons pour ses actes, il imaginait qu'après ce qu'il lui avait fait elle avait tout à fait le droit de savoir néanmoins lui donner une telle information pourrait le desservir, il ne la lui transmettrait donc pas. A la place son regard se baissa sur son dessert, il s'agissait d'un strudel, un pâtisserie qui venait de son pays, il avait été surpris d'en trouver si ici et l'avait choisi parmi d'autres qu'il ne connaissait pas. Il en coupa un morceau et l'apporta à sa bouche, au moins son dessert était excellent. Lorsqu'il reposa son regard sur la jeune nymphe, toute trace d'honnêteté avait de nouveau disparu, il lui sourit avec amusement.

"Ce que je veux ? Et si tu commençais par sourire comme tu le faisais parfois dans le passé, je crois que ça me manque..."

Elle le détestait et par-dessus tout, elle détestait ce sourire satisfait qu’elle voyait sur son visage. Il savait. Il savait qu’il lui suffirait de ça pour lui faire faire n’importe quoi. Elle savait qu’elle n’était pas la seule dans ce cas, que beaucoup de gens auraient eu la même réaction, mais face à Amadeus, c’était une réaction de faiblesse et elle se détestait pour ça. Au comportement du garçon, elle n’était pas sure à 100% de ce qu’elle avançait, mais elle pensait vraiment que lui n’avait aucune attache. Elle ne savait pas pourquoi ni comment, mais soit il n’en avait pas, soit il les cachait très bien. En tout cas, elle n’avait aucun moyen qu’il la laisse tranquille…

Le ton honnête dans la voix du jeune homme fit tiquer Yasashi Amy. Elle n’avait pas envie de croire ce qu’il disait, ça pourrait le rendre un peu amical à ses yeux, mais ce ton… elle savait qu’il n’était pas mensonger. Elle l’avait entendu bien trop peu de fois pour qu’il ne dise pas la vérité, contrairement aux sourires et autres expressions qu’il pouvait montrer. Si sa présence lui avait vraiment été agréable, sa traitrise en était encore plus difficile à admettre. De plus, pourquoi aurait-elle été la seule à pouvoir lui permettre de parvenir à ses informations ?

A la suite de sa question, elle le vit se concentrer sur son dessert. Le message, même s’il était peut-être involontaire, était très clair : il ne lui donnerait pas la réponse. Elle ne saurait pas pourquoi il l’avait trahie et utilisée. C’était pourtant la moindre des choses. Certes, elle voulait rayer ce moment de passé de sa mémoire, mais pour cela elle devait comprendre, elle ne pourrait pas passer outre sinon. C’était la seule chose qu’elle avait dégagée de ce dialogue avec lui. Et puis, si elle était obligée de le revoir à cause de ses menaces, il allait falloir qu’elle comprenne avant de devenir folle. En entendant sa demande, elle se reconcentra sur la discussion. Il croyait vraiment qu’elle allait lui sourire juste pour savoir ? Oui, elle en serait capable. Mais elle ne pouvait être sure qu’il lui dirait si elle le faisait, elle parierait presque sur le fait que non d’ailleurs.

« Les sourires du passé n’ont plus leur place sur mon visage aujourd’hui. De plus, un sourire se mérite, et si tu l’as mérité dans le passé, ce n’est plus le cas et que ça te manque ou non n’y changera rien. »

Amadeus se souvenait encore très bien des conversations qu'il avait eu avec Yasashi par le passé, il l'avait sincèrement appréciée, elle était légèrement différente à l'époque. Bien sûr Yasashi n'avait jamais été un modèle de joie de vivre mais par le passé elle était plus ouverte, plus souriante. Ce qu'il voyait aujourd'hui c'était une jeune fille renfermée et craintive à l'idée de se dévoiler de nouveau. Amadeus ignorait s'il en était la cause ou si d'autres évènements l'avaient incité à se replier, la chose l'intriguait mais il doutait fortement que Yasashi lui réponde honnêtement s'il lui posait la question. Elle lui faisait réellement l'effet d'un animal blessé, montrant le crocs pour maintenir les autres à distance le temps de cicatriser. Mais il ne s'agissait ici visiblement pas d'une blessure physique, était-il même possible de guérir de la sensation d'avoir été trahie par une personne en qui l'on avait confiance ? Amadeus ne le pensait pas possible, c'est d'ailleurs pour cela qu'il n'accordait sa confiance à personne, si vous vous attendiez toujours au pire de votre entourage, au moins vous n’étiez jamais pris par surprise. C'est pour cela qu'Amadeus se contentait de relations superficielles avec ses camarades de classe, il était relativement apprécié de la plus part mais réellement proche d'aucun.

Yasashi répondit presque à sa remarque sur le ton du défi, Amadeus l'avait bien cherché avec son commentaire sur son absence de sourire, néanmoins si Yasashi parlait de la même façon avec lui qu'avec les autres monstres de l'Académie, c'était un miracle qu'elle n'est pas encore finie à l'infirmerie. La plus part des monstres qu'Amadeus avait rencontré étaient des créatures violentes et bestiales qui attaquaient sans la moindre raison apparente, tout enorgueillis qu'ils étaient par leur pouvoir et se pensant tout puissant. Ceux qui s'en étaient pris à Amadeus l'avaient amèrement regretté mais il ignorait si Yasashi serait capable de se défendre dans une telle situation. Il ne lui semblait pas qu'elle ait reçu la moindre formation au combat, elle était cela dit une personne calme et d'un grand sang froid et serait surement capable de réagir convenablement mais elle manquerait surement de pratique et d'entraînement. Quoi qu'il en soit Amadeus n'y pouvait pas grand chose, s'il voulait prendre le risque de se faire agresser c'était son droit.

"Tu n'as pas l'air d'avoir beaucoup d'amis ici Yasashi, tu devrais être plus gentille avec ceux que tu as. Néanmoins, malgré ta mauvaise volonté j'ai passé un repas très agréable en ta présence, cela m'a rappelé de bons souvenirs, ce fut une rencontre... Intéressante"

Intéressante c'était le mot, sa rencontre aussi inattendue qu'instructive avec ce fantôme de son passé avait soulevé différentes questions, l'une d'entre-elles étant de trouver une explication logique aux légers changements physiques de Yasashi, il irait se renseigner à la bibliothèque sur les nymphes pour en avoir le cœur net, après tout le chose était peut-être normale chez cette race. Il ignorait encore tant de choses sur les monstres, c'en était frustrant. Il avait bien sûr énormément progressé depuis ses premières expériences dont la jeune femme assise en face de lui était la seule rescapée et pourtant il était encore loin d'avoir ne serait-ce qu'une piste sérieuse sur la façon d'extraire les pouvoirs d'un monstre. Soupirant à cette idée, Amadeus reposa sa cuillère, il venait de terminer son dessert et imaginait que cette rencontre touchait à sa fin, en effet il doutait que Yasashi désire la poursuivre plus que nécessaire. Il l'interrogea cela dit du regard, lui laissant le choix une nouvelle fois.

Comme elle l’avait dit à voix haute, les sourires n’avaient plus leur place sur son visage, ni même dans sa vie. Avant de connaitre Amadeus, elle avait été ouverte, plus amicale, même si elle n’avait pas confiance en les autres à cause de cette chasse aux « monstres » que les humains avaient instaurée. Après s’être enfuie, elle avait détesté les autres à un point qu’elle seule pourrait comprendre. Seuls ses parents avaient échappé à ce brusque changement, mais lorsqu’ils la voyaient ainsi, ils s’inquiétaient. La retrouver avait été un véritable bonheur pour eux, mais son état les rendait anxieux. Ils voulaient savoir ce qu’il s’était passé durant son absence, mais ils n’avaient jamais réussi à lui faire dire quoi que ce soit dessus. Yasashi ne s’était plus approchée des gens, une muraille invisible s’était créée autour d’elle et elle se cachait derrière ce mur. C’était certes une réaction de facilité car elle ne combattait pas mais elle ne voulait plus avoir mal.
Plus tard, lors de sa fusion avec Amy, elle avait légèrement changé de caractère. Sa haine envers les autres s’était grandement amoindrie, donc elle aurait presque pu retourner vers les autres, mais une autre peur s’était ajoutée à celle de se faire trahir à nouveau. En se rapprochant d’Amy pour la gifler, elle s’était retrouvée à fusionner avec elle et elle avait peur que ça recommence encore. L’envie de ne plus souffrir et le risque que cette fusion se reproduise l’avait gardée loin des autres. Elle ne voulait pas qu’ils s’approchent et c’était pour cela qu’elle avait créé ce masque de froideur et d’impassibilité.

« Les amis sont comme les sourires, ils n’ont plus leur place dans ma vie. »

Se faire des amis signifiait faire à nouveau confiance à quelqu’un et ainsi risquer d’être trahie. Elle ne ferait plus confiance, jamais. Et pour éviter de laisser son cœur blessé faiblir au point de faire à nouveau confiance, elle préférait dissuader les autres de s’approcher en se montrant le plus froide et distante possible. C’était la meilleure solution qu’elle avait trouvé et elle s’y appliquait avec attention.
Elle décida de ne pas réagir à la suite de sa phrase, gardant toujours un visage qui, s’il exprimait quelque chose, se montrait glacial. Elle avait arrêté d’être en colère, préférant reprendre son expression habituelle. La colère ne changerait rien au passé et elle ne faisait que lui rappeler ce qu’il s’était passé. Elle allait oublier et ça irait beaucoup mieux.

Elle haussa un sourcil devant son regard interrogatif. Il semblait lui demander son avis sur le fait qu’il reste ou qu’il parte vu qu’il avait fini de manger. Il l’avait menacée juste quelques minutes plus tôt pour qu’elle reste et maintenant il lui demandait son avis ? C’était presque comique tellement c’était illogique.

« Tu me menaçais il y a un instant et maintenant je peux choisir ? Bien. Dégage. »