Encore une voie sans issue, encore une impasse. Amadeus piétinait dans ses recherches et chaque nouvelle idée qui lui venait à l'esprit se révélait aussi infructueuse que la précédente. Pourtant il avait cru avoir enfin trouvé la solution en début de semaine. Il avait obtenu l'information, par des moyens qu'il valait mieux taire, que l'un de ses professeurs possédait une importante collection d'ouvrages traitant des expériences effectuées sur les monstres au fil des années, par de très rares scientifiques humains ayant miraculeusement appris  leur existence ou même par certains monstres eux-même peu respectueux de leurs congénères. Bien évidemment, Amadeus avait très rapidement mis au point un plan pour occuper le dit professeur loin de son domicile, c'est fou comme c'était simple de pousser quelques délinquants à dévaster la salle d'histoire et de se débrouiller pour que ça arrive aux oreilles du professeur concerné, et s'était introduit chez lui en son absence.

La collection du professeur était vraiment impressionnante et Amadeus aurait aimé avoir le temps de tout consulter en détail, néanmoins il dût se focaliser sur les titres qui pourraient lui être utiles. Après de longues et fastidieuses recherches dans la pièce poussiéreuse, il avait finit par tomber sur un traité rédigé par un scientifique allemand datant d'environ 70 ans, il avait conduit de très nombreuses expérimentations sur l'origine du pouvoir des monstres, son idée était de récupérer leurs pouvoirs pour servir les dessins militaires expansionnistes de son pays. Ce qu'il décrivait au fil des pages glaça Amadeus d'horreur, des amputations et transplantations sur sujet encore conscients, l'utilisation d'impulsion électrique sur différentes parties du corps pour forcer l'activation des pouvoirs... Les croquis qu'il avait rajouté et qui émaillaient son récit ne faisaient que rajouter au macabre et accentuer le malaise que l'on ressentait à la lecture du livre. Malheureusement les conclusions du scientifique n'étaient pas celles qu'Amadeus espéraient, les greffes finissaient toujours par être rejetées, la transmission de pouvoir n'avait fonctionné que dans des cas très rares, elle avait toujours était temporaire et avait à chaque fois entraîné la mort du patient. Si le scientifique avait eu quelques années de plus peut-être aurait-il réussi mais la fin de la guerre avait mis un coup d'arrêt à ses recherches et surement à sa vie par la même occasion.

Et c'était donc avec l'humeur bien plus maussade qu'a l'accoutumée qu'Amadeus avait commencé cette nouvelle journée, il en était réduit à prier pour que le Ciel lui envoie un signe, une direction dans laquelle chercher, ce qui était particulièrement ironique quand on savait avec qui il partageait son corps. Sa morosité ne faisait que croître et il avait du déployer des efforts inimaginables pour maintenir son masque de courtoisie habituelle. Son humeur se dégrada tellement une fois le repas passé et il commença à soupçonner Bel' d'y être pour quelque chose, qu'Amadeus décida de sécher ses cours de l'après-midi et de retourner se cloîtrer dans sa chambre où il espérait pouvoir être seul. Et c'est surement ainsi qu'il aurait terminé sa journée s'il n'avait pas aperçu un mince fil orangé dans le ciel, fin ruban enflammé qui semblait couper la voûte céleste en deux. Amadeus, victime de sa mauvaise humeur pensa un temps ignorer cette étrangeté, après tout on était à Yokai mais c'est alors que la voix éraillée du démon raisonna :
*Alors quoi ? Tu demandes un signe et maintenant que tu l'as sous les yeux tu l'ignores ? La déprime te rend stupide mon pauvre Amadeus...*
Il sentait bien le ton moqueur du démon et savait que s'il suivait cette trace dans le ciel et qu'elle s'avérait être sans intérêt il était bon pour plusieurs jours de railleries de la part de Bel' sur sa stupide lubie de suivre des nuages colorés. Et pourtant une étincelle d'espérance venait de s'allumer en lui, la promesse d'une nouvelle chance de se rapprocher de son but, ne serait-ce que de quelques millimètres. Après tout combien d'ouvrages avaient parlé de flammes parcourant le ciel avant l'arrivée de grands évènements, de grandes révélations ? La quasi totalité des textes religieux fondateurs y faisaient référence à plusieurs reprises.
*Et ce sont en général de mauvais présages pour ceux qui les voient !*
Rajouta le démon de son habituel ton moqueur, c'était vrai mais Amadeus allait courir le risque.

Il avait perdu la notion du temps et il aurait très bien pu suivre son signe depuis à peine une heure comme depuis une demi-journée, il avait traversé la ville et s'en était éloigné, et si repérer la trainée de feu avait été difficile au début, elle s'était peu à peu élargie comme si ce qui la créait se rapprochait peu à peu du sol. Amadeus dût s'enfoncer dans la forêt et repérer les flammes devint une nouvelle fois ardue, le feuillage des arbres bloquant souvent sa vision, de plus il ne pouvait se permettre de suivre les sentiers et devait donc traverser dans des endroits touffus et s'égratigna le visage à plusieurs reprises, Mais son fol espoir le fit persévéré et bientôt la lumière dégageait par ce qu'il poursuivait augmenta au point qu'Amadeus en fut ébloui. Arrivant à une clairière, le spectacle qui s'offrit à Amadeus défia son imagination, un immense oiseau aux couleurs chaudes se posait doucement au centre du bosquet qui baignait dans les flammes et pourtant rien ne brûlait. Amadeus resta un moment émerveillé devant l'oiseau à la beauté irréelle, finissant par retrouver ses esprits il se plaqua vivement derrière un arbre et observa depuis le couvert.

Amadeus savait peu de choses sur les monstres mais même le plus inculte des humains aurait pu reconnaitre ce qui se trouvait devant lui, un phœnix, une créature mythologique, quoi qu'elle semblait bien réelle, à moins qu'Amadeus ait complètement perdu la tête et se mette à avoir des visions.
*Tu fais bien de ne pas écarter cette possibilité...*
Une nouvelle fois le commentaire de Bel' était aussi inutile que déplaisant et Amadeus l'ignora totalement. Ses yeux étaient rivés sur la créature qui se trouvait devant lui, si ce que racontaient les humains était correct alors cette créature était immortelle, il y avait aussi de très nombreuses croyances concernant leurs plumes, leurs œufs et leur chair, Une lueur d'envie s'était allumée dans le regard du garçon, de la convoitise, un sentiment qu'il ne connaissait déjà que trop bien, c'était exactement ce qu'il recherchait depuis son arrivée, le Ciel lui avait-il réellement envoyé un signe ? Il se doutait que la trainée de flammes avait du être causé par le phœnix lui-même mais la coïncidence était si troublante...

La créature venait de prendre forme humaine, Amadeus en fut presque déçu, il aurait préféré qu'elle continue de ressembler à la créature de légende, une forme humaine la rendait moins mythique, moins impressionnante. Sa forme humaine avait cela dit un avantage, il savait désormais le sexe de l'oiseau, il s'agissait d'un mâle et Amadeus en fut insatisfait, une femelle aurait surement pu pondre mais un mâle ? La découverte restait néanmoins des plus capitales et...

- Que la personne, qui a vu ce que je suis, ce montre ou sinon je la tue, sans même la laisser parler.

Amadeus s'était d’instinct plaqué une nouvelle fois contre l'arbre qui l'abritait mais la chose semblait tardive, il était repéré. La réaction du phœnix avait été la menace et la violence et Amadeus ne put s'empêcher d'émettre un léger sifflement d'exaspération. Allait-il un jour rencontrer un monstre qui ne soit pas une grosse brute écervelée ? Pourquoi fallait-il que la première réaction de chaque monstre soit de montrer les crocs ? Aucun d'entre-eux n'avaient donc jamais appris à se comporter de manière civilisée ? Amadeus commençait sérieusement à ressentir une profonde antipathie pour l'espèce tout entière et si un jour un conflit éclatait entre les monstres et les humains il doutait grandement de son allégeance aux premiers !

Sortant de mauvaise grâce du couvert de son arbre, Amadeus s'avança lentement dans la clairière en levant légèrement les mains en l'air, parodiant l'action de se rendre. Il s'arrêta à bonne distance de l'homme, d'abord parce que celui-ci le menaçait toujours d'une épée ce qui ne le portait pas à s'avancer trop prêt et ensuite car il ne voulait pas qu'il pense qu'il essayait de lui faire baisser sa garde pour l'attaquer par surprise. Son sourire était courtois et il ne dégageait aucune animosité à l'inverse de son opposant qui semblait prêt à en découdre. Et c'est d'une voix calme et sur le ton de la conversation qu'il s'exprima.

"Vous savez un jour une personne m'a dit que si vous éduquiez un enfant par la violence, celui-ci allait finir par penser que c'était la force qui régissait le monde... Mais peut-être est-ce votre manière d'accueillir tous les promeneurs ? Pas étonnant qu'il y en ait su peu par ici."

Amadeus avait réussi à faire disparaître toute trace de mépris de sa voix et c'était pourtant ce que lui inspirait la réaction du phœnix, il méprisait la violence, peut-être à cause de ce que lui avait fait subir son père, et Amadeus préférait toujours utiliser d'autres méthodes pour arriver à ses fins, la violence n'était que son ultime recours mais jamais il ne l'exhibait ainsi ni ne l'utilisait en guise d'introduction.  

S'il s'était attendu à le voir apeuré, l'homme devait être déçu, la voix d'Amadeus n'avait trahi ni peur ni même colère, et à en juger par sa façon de s'exprimer ils auraient tout aussi bien pu être en train d'avoir une conversation tout à fait banale et être dans un lieu des plus ordinaires. Amadeus avait été éduqué de telle manière, que la violence et les menaces n'avaient plus la moindre emprise sur lui et il lui en faudrait bien plus pour lui faire perdre son aplomb. L'insulter ? Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire ce qu'on pensait de lui. Le frapper ? Il avait l'habitude. Lui enlever ce qu'il avait de plus précieux ? On le lui avait déjà pris. Non, Amadeus ne craignait rien, tout simplement parce qu'il n'avait déjà plus rien et n'était plus qu'une coquille vide, un fantôme sans réelle existence. Que lui importait d'être tué ? Il ne se sentait pas vivant pour commencer et si ce n'était pas pour son projet, il se serait laissé mourir il y a de cela des années. Le regard d'Amadeus s'était assombrit au fil de ses pensées, il semblait désormais bien plus inexpressif qu'à l'accoutumée, plus que des yeux, c'était deux abysses que la lumière n'atteignait jamais, des trous béants qui aspiraient la vie de son visage qu'Amadeus possédait. Plantant ses froides pupilles dans celles du phœnix, il lui lança un regard de défi. Si ce dernier comptait  l'attaquer qu'il le fasse, Amadeus n'allait ni fuir ni implorer, il tenait enfin une piste sérieuse pour ramener Tsuki et absolument rien ne pourrait le détourner de son objectif.