Amadeus était d'humeur maussade, les choses ne progressaient pas assez vite à son goût. Il était venu ici pour améliorer sa maîtrise du pouvoir qui lui avait été conféré par le démon qui l'habitait et tout ce à quoi il avait le droit pour l'instant c'était des compliments. En effet ses professeurs ne tarissaient pas d'éloge sur son soit-disant talent, selon eux son niveau était incroyable au vu de son âge et il ne progresserait que très lentement au fil du temps. Amadeus avait ressenti une certaine frustration à cette idée, à quoi pouvait donc lui servir des enseignants qui prétendaient ne rien avoir à lui apprendre ? L'idée l'agaçait et Amadeus décida de s'isoler pour pouvoir ruminer ses noires pensées en paix.

Hésitant un moment sur l'endroit où se rendre pour obtenir un peu de tranquillité, il finit par se décider pour le toit en espérant qu'il serait vide. Avant même de pousser la porte menant vers l'extérieur, Amadeus sut que ça ne serait pas le cas, il entendait des éclats de voix, des rires et d'autres bruits qu'il avait peur de reconnaître. Et il ne s'agissait pas là du genre de rire hilare qui fait suite à une bonne blague racontée par un ami, oh non, il s'agissait de rires méchants, cruels et mauvais. Le genre que les petites brutes adoptent lorsqu'elles tyrannisent leurs victimes. Poussant la porte, Amadeus remarqua un attroupement, plusieurs élèves s'étaient rassemblés autours d'une jeune fille qui s'était recroquevillée dans un coin.

Le regard d'Amadeus se fit plus froid qu'à son habitude, il ne comprendrait jamais cette violence gratuite, ce sadisme pervers qui poussait certains à s'en prendre à ceux qu'ils jugeaient plus faibles ou différents. Il ne se considérait pas particulièrement gentil lui-même, mais cette violence qui n'avait pour seul but que de faire souffrir l'autre le répugnait, elle lui rappelait trop ce que son propre père lui avait subir à sa sœur et à lui pendant des années, c'est cette pensée qui décida Amadeus à intervenir. Il s'approcha du groupe et s'exprima d'une voix polie :

"Alors, vous avez besoin d'être aussi nombreux pour attaquer une fillette ? C'est impressionnant autant de lâcheté !"

Leur victime n'était pas si jeune que cela, mais utiliser le mot fillette avait renforcé l'aspect insultant de sa phrase et ça avait fait mouche, deux garçons du groupe se retournèrent, furieux des paroles d'Amadeus. Le coup partit et le corps d'Amadeus réagit, après les années d'entraînement que son père lui avait infligé, il n'avait plus besoin de réfléchir durant un combat, son corps agissait d'instinct, de manière quasi inconsciente. La chose fut réglée rapidement et l'instant suivant son assaillant gisait au sol en se tenant l'avant-bras avec une expression de souffrance pure sur le visage, pourtant Amadeus avait retenu son coup. Surpris par la vitesse avec laquelle son ami avait été mis hors d'état de nuire, l'autre garçon recula de quelques pas et finit par s'enfuir avec le reste du groupe.

Amadeus s'approcha de la jeune fille et fut soulagé de voir qu'elle n'avait que des blessures superficielles, rien qui ne devraient laisser de traces permanentes. Il s’accroupit pour se mettre à la hauteur de la jeune fille et parla avec douceur :

"Est-ce que tu vas bien ? Tu as mal quelque part ? Si ça ne va vraiment pas je peux t'emmener à l'infirmerie."

Attendant patiemment sa réponse, Amadeus jeta un coup d’œil au dernier membre du groupe qui se relevait péniblement, se tenant toujours l'avant-bras celui-ci le regarda et une lueur de terreur s'alluma dans ses yeux lorsqu'il vit qu'Amadeus l'observait de son regard inexpressif, il s'enfuit à son tour.

Le regard toujours fixé sur les blessures de la jeune fille, c'est avec stupéfaction qu'Amadeus les vit guérir à vue d’œil. C'était un pouvoir intriguant et qui pouvait s'avérer utile. Amadeus se demanda quelle était la limite des capacités de sa camarade. Pouvait-elle soigner d'autres personnes qu'elle-même ? Son pouvoir fonctionnait-il sur des blessures particulièrement graves ? Il se retint néanmoins de l’assaillir de questions, d'abord car cela aurait été impoli et ensuite parce qu'elle ne semblait pas en état de répondre. Encore visiblement traumatisée par ce qui venait de lui arriver elle s'était tassée autant qu'il était humainement possible de l'être dans un coin du toit.

La jeune fille garda le silence un moment et lorsqu'elle s'exprima, ses mots choquèrent Amadeus, ses sourcils s'arquèrent de manière imperceptible. Elle se prenait pour un monstre, il savait que certaines victimes d'abus finissaient par culpabiliser voir même par penser mériter le traitement qui leur était infligé mais c'était la première fois qu'il le voyait réellement. Amadeus ne put s'empêcher de ressentir une certaine compassion pour cette jeune fille que la vie avait brisée. Il aurait aimé l'aider mais il n'était pas psychologue et avait peur de faire un impair. Amadeus décida de ne pas s'approcher plus de la jeune fille, il avait remarqué le regard terrifié qu'elle lui lançait et il craignait qu'une attitude trop pressante à son égard ne fasse fuir la jeune fille dont il ignorait toujours le nom. Il continua de s'exprimer de la même voix douce, en espérant finir par apaiser son interlocutrice :

"Pourquoi serais-tu un monstre ? Ton pouvoir n'a pas l'air d'être monstrueux, je suis même persuadé qu'il pourrait être utilisé pour aider les gens. Les vrais monstres ce sont ceux qui étaient là il y a un instant et qui ont courageusement pris la fuite."

Elle ressemblait à un animal sauvage, craintive et tremblante devant la cruauté des humains, bien qu'en l'espèce il ne s'agissait pas vraiment d'humains mais les monstres avaient déjà prouvé à Amadeus qu'ils ne différaient en rien d'eux et qu'ils étaient capables des mêmes actes méprisables et il venait d'en avoir une nouvelle confirmation à l'instant. Le regard d'Amadeus se fit triste et il se dit qu'il aurait surement fini dans le même état que la pauvre créature qu'il avait devant les yeux si sa sœur n'avait pas été là  pour le soutenir durant toutes ses années, sa mort avait dévasté Amadeus et c'était une douleur dont il ne guérirait surement jamais mais durant sa vie, elle avait été le support dont il avait eu besoin pour continuer à avancer, pour ne pas être dévoré par la cruelle réalité.

Remarquant quelques crayons éparpillés et un dessin abandonné sur le sol, Amadeus en déduisit que c'était surement à cela que la jeune fille était occupée avant d'être interrompue. Amadeus se leva et alla ramassé les affaires éparses puis se rapprocha de nouveau de la jeune fille pour les lui tendre, un sourire gentil plaqué sur son visage.

"Pourrais-tu au moins me dire ton nom ? Je m'appelle Amadeus et je suis ravi de te rencontrer, bien que les circonstances ne soient pas très heureuses."

Amadeus ignorait si la jeune fille reprendrait ses affaires, elle avait toujours l'air méfiante à son égard et si elle n'amorçait aucun geste, il se contenterait de déposer son matériel de dessin auprès d'elle et de s'écarter.

La jeune fille ne se saisit pas du dessin qu'il lui tendait, Amadeus n'était pas surpris mais la chose l'attrista tout de même. En réaction à son geste qu'elle avait mal interprété, sa camarade avait relevé les bras comme pour se protéger d'un coup à venir. Amadeus connaissait ce genre de réaction, elle était typique des enfants ayant subi des abus ou des femmes qui avaient un mari violent et au vu de l'âge de son interlocutrice, la solution la plus probable était la première. Amadeus déposa les affaires de la jeune fille sur le sol, pensant qu'elle serait peut-être plus à l'aise de s'en saisir ainsi plutôt que de les prendre alors qu'Amadeus les tenait encore. Il avait cela dit fait un progrès, la jeune fille lui avait donné son nom, Aurélia, sa voix était encore tremblante et mal assurée mais c'était la première fois qu'elle s'adressait directement à lui.

L'urgence des premiers instants étant désormais passée, Amadeus détailla son interlocutrice pour la première fois. D'apparence frêle, Aurélia avait le visage partiellement dissimulé par sa longue chevelure brune. Ses prunelles vertes étaient toujours éclairées par la crainte, Amadeus avait espéré la voir se détendre après le départ de ses bourreaux mais Aurélia restait désespéramment recroquevillée et tassée comme si elle cherchait à disparaître totalement. Amadeus venait de chasser les petites brutes qui la tourmentaient et elle ne lui faisait toujours pas confiance, il se demandait ce qu'elle avait pu endurer pour perdre à ce point confiance en les autres. Au vu de son propre passé et des réactions de la jeune fille, Amadeus pensait pouvoir entrevoir les raisons de son comportement mais il n'avait aucun moyen de le vérifier et il doutait qu'Aurélia lui réponde s'il lui demandait.

Remarquant que le regard de son interlocutrice s'était fixé un instant sur la porte permettant de quitter le toit, il comprit qu'elle pensait à s'enfuir et Amadeus ne comptait pas l'en empêcher si c'était là ce qu'elle voulait. Il ne la retenait pas prisonnière et elle était libre d'aller et venir comme bon lui semblait. Amadeus alla s'assoir à quelques mètres d'Aurélia et appuya son dos contre le grillage qui entourait le toit. Il avait choisi sa place de telle façon que la jeune fille puisse quitter le toit sans avoir à passer devant lui, si elle voulait s'enfuir, la voie était libre. il espérait qu'avec une échappatoire Aurélia se rassurerait. Fermant un moment les yeux, il continua de s'exprimer avec douceur :

"Tu n'as pas à avoir autant peur de moi, je suis venu ici pour être au calme, pas pour te faire du mal. Si ma présence t'indispose tu es libre de t'en aller je ne t'en empêcherais pas. Néanmoins je pense que tu es plus en sécurité ici pour le moment, je n'ai pas la moindre idée d'où le groupe de tout à l'heure a pu aller."

Gardant les yeux fermés, Amadeus goûta la morsure du soleil sur sa peau pendant un moment, la chose permettait aussi de laisser à Aurélia le temps de décider si elle préférait rester ou pas. Amadeus était curieux de la décision finale de la jeune fille et il se demandait s'il allait découvrir un toit vide lorsqu'il ré-ouvrirait les yeux.

Lorsque Amadeus ouvrit les yeux et tourna la tête vers l'endroit où se trouvait Aurélia il y a quelques instants, il découvrit une place vide et crut qu'elle avait saisi l'opportunité qu'il lui avait laissé pour s'en aller. Il finit cela dit par entendre du mouvement et tournant la tête il aperçut la jeune fille qui avait changé de place de façon à ce qu'Amadeus se trouve de nouveau entre la porte et lui. La chose laissa Amadeus perplexe un moment, il finit par supposer qu'elle l'utilisait comme une sorte de protection, au cas où une agression viendrait de la porte. L'idée l'amusa et elle signifiait que même si Aurélia ne lui faisait pas encore complètement confiance, elle ne devait pas non plus le ressentir comme une menace directe.

Elle ressemblait vraiment à un animal sauvage, à tel point qu'Amadeus n'aurait pas été étonné de la voir faire le dos rond et cracher comme certains chats le font lorsqu'ils sont apeurés. Cela dit, il était assez simple de se faire aimer d'un chat de gouttière mais Amadeus n'était pas convaincu que de donner des morceaux de poisson cru à la jeune fille pendant quelques jours suffise à lui faire baisser sa garde. Amadeus était perplexe sur l'attitude à adopter envers Aurélia, il était persuadé que s'il tentait de l'approcher celle-ci se tendrait immédiatement mais s'il restait à distance ainsi il ignorait si Aurélia se déciderait à combler la distance qui les séparait. Peut-être la seule bonne réponse était-elle le temps, la laisser s'habituer à sa présence et lui permettre de se détendre petit à petit. La stratégie était loin d'être parfaite mais c'était le mieux qu'Amadeus aie trouvé. Il resta donc à l'endroit où il était, il posa de nouveau ses yeux vairons sur la jeune fille et lui demanda avec sollicitude :

"Ce groupe qui était là tout à l'heure, il... C'était la première fois qu'ils s'en prenaient à toi ?"

La plus part des élèves se seraient contentés d'aller avertir un professeur de la situation mais Amadeus doutait que cela soit utile, ce serait sa parole contre celle de tout le groupe, il était aussi possible qu'Aurélia refuse de témoigner par peur des représailles. Et puis ce n'était pas quelques heures de colle qui ferait changer ce genre de personnes. Non définitivement mêler un membre du corps professoral à cette histoire n'apporterait rien de bon. Amadeus n'avait d'ailleurs pour le moment pas le moindre respect pour les enseignants de l'école qui ne lui avait pas fait forte impression et il ne pouvait s'enlever de la tête l'image de ce professeur au sourire hypocrite en train de le complimenter sur la maîtrise de son pouvoir, cet homme n'avait vraiment rien compris et Amadeus le méprisait. Reprenant d'un ton songeur, Amadeus plongea son regard dans les prunelles couleur émeraude de son interlocutrice avant qu'elle aie pu détourner le regard :

"Dis moi Aurélia, veux-tu que je me charge d'eux ?"

Amadeus avait retenu les visages de la plus part d'entre-eux et il ne serait pas bien complexe d'obtenir le nom des autres. il n'aimait pas la violence, c'était un fait, mais face à des gens qui ne comprenaient que ça il n'hésitait pas à y recourir. Si ces élèves n'étaient pas assez évolués pour agir de manière raisonnable par eux-même alors Amadeus pouvait le leur apprendre par la douleur et la peur et il était bien plus doué qu'eux à ce jeu là. Mais sa question avait aussi d'autres raisons et il attendit avec curiosité la réaction d'Aurélia.

La jeune fille avait hoché positivement la tête, c'était donc bien la première fois que ce groupe s'en prenait à elle. C'était une bonne chose qu'Amadeus soit intervenu dès à présent, il était plus complexe de faire cesser ce genre de comportements lorsqu'ils duraient depuis longtemps, à l'inverse tuer la chose dans l’œuf n'était pas excessivement compliquée. Néanmoins Amadeus ne savait pas si Aurélia était la première victime de ce groupe, peut-être n'était-elle que la nouvelle d'une longue liste. Il lui faudrait faire quelques vérifications avant d'agir, s'il précipitait les choses il risquait de faire une grave erreur de jugement.
Amadeus restait stupéfait qu'aucun professeur n'est rien remarqué, il lui semblait évident qu'Aurélia puisse devenir une cible des petites brutes du coin et que personne n'aie pensé à garder un œil sur elle renforça son a priori négatif à propos des enseignants et accrut sa conviction que l'on ne pouvait leur faire confiance.

Aurélia avait cela dit refusé qu'il s'occupe du groupe, la chose n'étonna pas réellement Amadeus, il ressentit malgré tout une certaine déception. Il venait de mettre le doigt sur la différence fondamentale entre lui et la jeune fille. Amadeus avait lui aussi été une proie par le passé, un être terrifié à la simple vue de son bourreau mais sa soif de pouvoir l'avait rendu fort, elle lui avait procuré le pouvoir nécessaire pour se battre. Et un jour les mâchoires de la frêle créature qu'il était s'étaient refermées sur la nuque de son tortionnaire et tout avait été terminé. Il était devenu à son tour un prédateur et il ne s'arrêterait pas en si bon chemin et comptait bien atteindre de nouveaux sommets. Mais Aurélia elle ne semblait pas avoir cela en elle, du moins pas pour le moment, elle manquait cruellement d'ambition et c'était selon lui ce qui différenciait les faibles des puissants.

Amadeus ignorait cependant les raisons de son refus, avait-elle peur pour lui ? Ou craignait-elle tout simplement que le groupe ne se venge sur elle ? Probablement pas, il connaissait les personnalités comme celle d'Aurélia et savait que ce qui en faisaient des victimes parfaites c'était leur incapacité à se défendre, ils acceptaient ce qu'on leur faisaient, certains pensaient même le mériter. C'est ce qui rendait l'aide à leur égard si difficile. La jeune fille avait commencé à trembler et Amadeus mit un temps à s'en apercevoir. Elle semblait perdue dans ses souvenirs à tel point qu'elle en oubliait la présence d'Amadeus, profitant de l'opportunité, celui-ci se rapprocha lentement d'elle et lui caressa doucement le haut du crâne, lui ébouriffant légèrement les cheveux au passage :

"Calmes toi, ils ne t'ennuieront plus et aucun mal ne te sera fait tant que je serais ici avec toi. Alors détends toi Aurélia, tout va bien."

Oui le groupe de tout à l'heure ne lui ferait plus aucun mal tout simplement parce que Amadeus avait décidé de se charger d'eux, il n'avait pas posé la question à Aurélia pour obtenir son accord, il l'avait fait pour mieux cerner sa personnalité mais le destin du groupe lui était déjà scellé et rien ne le ferait changer.

La jeune fille s'était tendue lorsqu'elle avait vu le geste d'Amadeus, c'est d'ailleurs pour cela que celui-ci avait agi pendant qu'elle était distraite. Finissant par comprendre qu'il ne la frapperait pas, Aurélia s'était détendue, son corps se remit à trembler de plus belle, des larmes apparurent au coin de ses yeux verts et elle finit par se blottir contre lui. Amadeus resta un temps interdit, il n'avait pas l'habitude des manifestations d'émotions et ne sut donc pas comment réagir immédiatement. Il se référa à la seule source d'affection qu'il avait connu dans sa vie et calqua ses gestes sur ceux que sa sœur aurait eu à son encontre dans une telle situation.

Il essuya les larmes de la jeune fille du bout des doigts puis la serra doucement dans ses bras en espérant la voir se calmer. Amadeus ne faisait que mimer les actes que Tsuki aurait fait à sa place mais le fait de se trouver à la place de celui qui console et non de celui qui est consolé le troubla. Il ignorait si ses réactions avaient été les bonnes et son incertitude devait transparaître sur son visage. Il se souvint du visage toujours serein de sa sœur et il comprit à quel point il n'était rien d'autre qu'une pâle copie de ce qu'elle avait été, loin d'égaler l'originale. Il soupira et chassa ses souvenirs de Tsuki, penser à elle le faisait souffrir, bien qu'il ne puisse pas s'en empêcher. Reposant son regard sur Aurélia, Amadeus demanda :

"Te sens-tu un peu mieux ? Si ce n'est pas le cas il est toujours possible d'aller à l'infirmerie. Et si tu veux parler à quelqu'un je peux écouter"

Le ciel virait au vermeil, le soleil commençait à disparaître à l'horizon et Amadeus se demandait si quelqu'un allait venir verrouiller la porte du toit ou venir les en chasser. En effet il doutait que les portes de l'école restent ouvertes toute la nuit et il commençait à se demander si un surveillant ou un gardien n'allait passer les réprimander.

La jeune fille ne semblait pas vouloir aller à l'infirmerie, repensant au pouvoir de guérison qu'il avait pu observer un peu plus tôt, l'idée d'Amadeus lui parut soudainement stupide. Elle ne devait pas avoir réellement besoin de soin concernant les blessures physiques, du moins pour les plus légères. Amadeus se demandait si  son pouvoir aurait été capable de soigner une blessure bien plus grave. Aurélia n'avait pas eu l'air de contrôler sa capacité, elle s'était activée à son insu. Amadeus était curieux de savoir s'il s'agissait d'une technique de guérison inconsciente ou si la jeune fille manquait tout simplement d'entraînement. La seule façon de s'en assurer aurait été de la blesser volontairement mais Amadeus faisait rarement dans le sadique.

La jeune fille semblait angoissée à l'idée qu'il s'en aille et de se retrouver seule, c'était un sacré retournement de situation comparé au moment où il était arrivé et ne pouvait pas l'approcher sans qu'elle n'esquisse un geste défensif. Il semblait avoir réussi à gagner sa confiance, du moins en partie, l'idée qu'un être aussi vide qu'il l'était puisse apporter le moindre réconfort à quelqu'un lui semblait saugrenue mais étrangement, les gens désespérés avait une tendance qu'il ne comprenait pas à se tourner vers lui. Pourquoi ? Reconnaissaient-ils dans son regard l'expression apathique de ceux à qui la vie à tout pris ? Probablement, mais était-il possible de choisir pire sauveur qu'Amadeus ? Aurélia avait peur des petites brutes qui s'étaient enfuies mais elles n'étaient que des louveteaux par rapport à Amadeus dont les actes étaient certes bien moins violents mais aussi souvent bien plus cruels et destructeurs. Et pourtant Aurélia s'accrochait à lui comme un naufragé à une bouée, avec l'énergie du désespoir. On disait souvent que les animaux avaient un sixième sens, qu'ils ressentaient le danger, il semblerait que les monstres en soient tout aussi dépourvus que les humains, sans quoi la jeune fille se serait enfuie en courant.

Amadeus reposa sa main sur la tête d'Aurélia et caressa doucement sa chevelure, bien qu'il soit persuadé qu'il serait préférable pour elle de se tenir éloigné de lui, c'était à elle de faire ses propres choix, quand bien même fussent-ils les mauvais, quand bien même rien de bon ne puisse décemment en ressortir. La chose pouvait d'ailleurs être bénéfique pour Amadeus, être vu comme le sauveur d'une pauvre petite fille martyrisée par ses camarades serait un excellent moyen de faire taire certaines rumeurs déplaisantes qui commençaient à courir à son sujet. Et bien qu'il méprisait les enseignants au plus au point, conserver leur sympathie présentait de nombreux avantages. Plissant légèrement les yeux, Amadeus finit par lui répondre d'une voix insondable :

"C'est à toi de prendre cette décision Aurélia. Tu es libre de venir me voir lorsque tu le désires.

Les souvenirs de sa sœur avaient reflué dans l'inconscient d'Amadeus, et les froids rouages de son esprit s'étaient remis en marche. Le pouvoir d'Aurélia était intéressant, mais encore fallait-il en déterminer les limites. Et puisque s'attaquer à la jeune fille n'était pas envisageable, c'est une autre éventuelle limite qu'Amadeus se décida de tester. Son regard inexpressif  balaya le toit mais ne tomba sur rien pouvant correspondre à ses attentes. Se rappelant qu'il était adossé à un grillage métallique, le plan d'Amadeus s'adapta immédiatement, trouvant une nouvelle possibilité. Il déplaça sa main libre vers le grillage et s'appuya sur l'une de ses extrémités pointues, celle-ci s'enfonça  dans la paume d'Amadeus.

"Aïe..."

Le mot n'avait été prononcé que pour attirer l'attention d'Aurélia, la douleur physique ne signifiait plus rien pour Amadeus depuis des années mais son mouvement avait été discret et il était probable que sans cela, la jeune fille ne l'ait même pas remarqué. Amadeus ramena sa main près de son visage, l'entaille n'était pas profonde mais le sang goutait lentement le long de son poignet. Il allait savoir assez rapidement si Aurélia était capable de soigner d'autres personnes qu'elle-même, ou du moins l'espérait-il.

Le sang continua de couler le long de son poignet pendant un moment, Aurelia se contenta de fixer sa blessure sans rien laisser transparaître. Soit elle n'était pas capable de soigner autrui, soit elle s'en fichait éperdument. Amadeus n'exclut pas la deuxième hypothèse car l'absence de réaction de la jeune fille était des plus suspecte à ses yeux. Sa méfiance naturelle reprenait le dessus. Comprenant qu'elle n'agirait pas et n'ayant pas envie de se vider goutte après goutte de tout son sang, Amadeus finit par refermer sa paume et par attraper un mouchoir pour essuyer la trace que le sang avait laissé en coulant sur sa main. La blessure n'étant pas profonde, Amadeus ne s'inquiétait pas outre mesure, il en avait vu d'autres.

Il était toutefois déçu, son test de la limite du pouvoir d'Aurelia ne s'était pas révélé concluant. Si elle ne pouvait pas soigner quelqu'un d'autre qu'elle même, le pouvoir de la jeune fille ne l'intéressait que très peu. A moins qu'il trouve un moyen de dupliquer ou de transférer les pouvoirs d'un autre, cela restait inutile. Il ignorait si la chose était possible mais il comptait bien faire quelques recherches en ce sens. Il ne devait pas être le premier à y penser et peut-être que quelqu'un avait déjà conduit des expérimentations sur le sujet, il ne lui restait plus qu'à en trouver une trace. L'idée plut à Amadeus et il se promit de faire des recherches en ce sens, il devait bien exister un livre à la bibliothèque ou en la possession d'un professeur qui traitait du sujet, il suffisait de l'obtenir.

La porte du toit s'ouvrit de nouveau, un groupe aux intentions visiblement peu amicales s'avança vers eux. Amadeus reconnut plusieurs des garçons du groupe qui était déjà là un peu plus tôt. Ils étaient désormais plus nombreux. Vexés par leur défaite, ils avaient ramené des élèves plus vieux et qui devaient donc avoir une meilleure maîtrise de leur pouvoir. Amadeus n'était pas réellement étonné, il avait surement blessé le garçon de tout à l'heure et leur fuite avait surement aussi porté un coup à leur ego de petites brutes, ils avaient surement rameuté tous les caïds du coin.
La chose aurait pu être complexe si Amadeus avait du se battre tout en protégeant Aurelia mais ce n'était en aucun cas ce qu'il prévoyait. Il allait simplement se battre, Amadeus ne reculait pas si l'on prenait des otages et pensait toujours à sa sécurité en premier. De plus se rendre n'aurait comme conséquence que de les blesser gravement tous les deux, autant alors combattre. Amadeus se releva avec lenteur et posa son regard glacial sur le groupe qui commençait à les encercler, il soupira et parla d'une voix tranchante :

"Je vois que chez les monstres aussi la vermine se déplace toujours en troupeau. Très bien je comptais de toute façon faire passer un message à tous les délinquants du coin et vous ferez parfaitement l'affaire."

Amadeus entendit la voix rauque du démon qui l'habitait, Bel', raisonner dans son esprit, celui-ci avait lu en Amadeus ce qu'il comptait faire et se délectait à l'avance de ce qui allait se produire.
*Eh bien Amadeus... Pour une personne qui prétendait ne pas aimer la violence, tu sembles prêt à l'utiliser.*
Ce n'était que partiellement vrai, c'était eux qui étaient venus avec l'intention de se battre et puis cela serait une bonne opportunité d'acquérir de l'influence dans l'école, la violence était pour lui un moyen pas une fin en soi. Un membre du groupe qui contrôlait l'électricité s'avança et projeta un arc électrique en direction d'Amadeus, celui-ci ne prit même pas la peine de bouger, l'arc dévia de sa trajectoire, attiré par la clôture métallique située derrière lui. Quelle bande d'amateurs, ils n'étaient même pas capable d'utiliser leur pouvoir en fonction de leur environnement, ils n'avaient visiblement aucune expérience de combat réel. Le groupe eut l'air surpris de ce qui venait de se produire, peut-être pensaient-ils que c'était le pouvoir d'Amadeus qui avait dévié cette attaque, après tout aucun d'entre-eux ne devait connaître la nature exacte de sa capacité.
Un autre membre du groupe, visiblement persuadé que la situation serait meilleure pour lui au corps à corps s'était approché d'Amadeus avec l'intention de lui coller son poing dans la figure. Mais Amadeus possédait grâce à Bel', les pouvoirs d'un prince des enfers et ce n'était pas quelques élèves indisciplinés qui allaient le mettre en difficulté. Il attrapa le poing du garçon avec sa main avant que celui-ci n'atteigne sa cible puis commença à serrer doucement, la surprise sur le visage de son adversaire se transforma peu à peu en souffrance à mesure que l'étreinte d'Amadeus se faisait plus forte. Un bruit de craquement finit par se faire entendre, il venait de lui broyer les os de la main. Le regard vide d'Amadeus vint se poser sur le reste du groupe et il s'exprima de son habituelle voix aimable, ce qui n'enleva rien à l'horreur des mots qu'il prononça :

"Bien évidemment, aucun d'entre-vous ne ressortira d'ici."

Amadeus activa son pouvoir et s'avança vers le groupe.

La chose ne méritait même pas d'être qualifiée de combat, la différence était telle entre Amadeus et ses adversaires qu'il s'agissait bien plus d'un massacre unilatéral, d'une exécution. Était-ce là le niveau auquel il devait s'attendre durant toute sa scolarité ? Si c'était le cas alors il n'avait aucune raison de rester, autant s'en aller tout de suite ça n'en valait pas la peine. La différence était bien sûr liée au démon qui possédait Amadeus et qui lui fournissait une puissance bien supérieure à la moyenne mais se contenter de ce constat serait réducteur et d'autres éléments jouaient. La plus part de ses adversaires n'avaient en effet aucune réelle expérience de combat et étaient une gêne plus qu'un atout pour leurs alliés. Leurs attaques étaient désordonnées et confuses, ils se gênaient dans leurs actions les uns les autres ce qui rendait le tout d'une simplicité enfantine à esquiver pour Amadeus. Celui-ci finit par se demander s'il ne pouvait pas se contenter de les laisser s'entre-tuer avec leurs attaques brouillonnes qui partaient dans tous et se frappaient parfois entre elles. Ceux qui semblaient avoir une légère expérience ne valaient guère mieux, ils manquaient du calme et de la réflexion nécessaire lorsque l'on souhaite triompher d'un adversaire plus fort. Leurs offensives faisaient penser à des charges d'animaux sauvages, à tel point qu'Amadeus avait plus l'impression d'affronter une meute de loups plutôt que ses camarades. Oui des animaux c'est tout ce qu'ils étaient aux yeux d'Amadeus.

Sa seule inquiétude était de voir quelques rats quitter le navire, il ne pouvait permettre une telle chose et devait par tous les moyens contrôler les informations qui sortiraient d'ici, c'était là sa priorité, il ne pouvait laisser des rumeurs se répandre sur ce qui allait se passer. C'est aussi pour cela qu'il devait agir vite, avant qu'un membre du comité ou un gardian n'intervienne. C'est pour cela qu'Amadeus avait décidé d'activer son pouvoir, pour accélérer les choses, la main broyée du garçon qu'il tenait toujours fermement avait commencé à rougir lentement comme sous l'effet d'une inflammation cutanée puis elle vira doucement à la couleur violette avant de devenir noire, Amadeus le relâcha à ce moment. Le garçon était condamné, la putréfaction des chairs avait commencé et elle allait s'étendre petit à petit sans que rien ne puisse l'arrêter, son pouvoir ne connaissait aucune guérison, il ne faisait qu'accélérer la décomposition naturelle des corps qui était inéluctable. Se désintéressant de cet adversaire le regard d'Amadeus se posa sur la porte et il aperçut deux membres du groupe qui avaient décidé de prendre leurs jambes à leurs cous. Ne pouvant laisser une telle chose arriver, Amadeus se précipita vers la porte. Il arriva à l'instant où l'un d'entre-eux en ouvrait le battant, Amadeus la referma avec violence avant qu'aucun n'est pu s'enfuir puis arracha la poignée. Le métal tranchant s'enfonça profondément dans la chair de sa paume mais Amadeus n'en avait cure, il serait désormais extrêmement complexe de sortir du toit, à moins de savoir voler, ce qui lui simplifierait le contrôle de l'endroit qui était à présent clôt. Ayant vu l'activation de son pouvoir, la plus part de ses adversaires étaient désormais tétanisés par la peur, le regard vissé sur leur ami qui convulsait sur le sol, la noirceur de ses chairs continuant sa route le long de son bras en direction de son cœur. Une autre chose que l'on apprenait à gérer qu'avec l'expérience en combat, la terreur et l'impression de mort imminente. Ses adversaires ressentaient visiblement cela pour la première fois et leur instinct de préservation qui poussait tout être vivant à vouloir continuer à vivre, les paralysaient, ne sachant comment réagir face au flot d'informations nouvelles. Amadeus connaissait cette réaction et savait qu'elle ne durait pas indéfiniment, il décida donc d'en profiter au maximum et alla apposer son pouvoir sur un maximum de membres du groupe avant que ceux-ci ne reprennent leurs esprits.

Amadeus remarqua enfin un garçon qui s'était éloigné du groupe et qui n'avait pas été victime de son attaque psychologique car il avait tourné le dos à la scène. En effet celui-ci s'était intéressé à Aurelia, il contrôlait le feu et l'avait utilisé pour effrayé la jeune fille, de nombreux objets voletaient autours d'eux et Amadeus se demanda s'il s'agissait là d'un pouvoir de la jeune fille. Amadeus avait été trop concentré pour s'en apercevoir jusqu'à présent. Soupirant légèrement Amadeus s'approcha d'eux. Le garçon l'entendit arriver et se retourna vivement, ses yeux s'écarquillèrent de stupéfaction devant le spectacle qui s'offrait à lui : tous ses camarades étaient allongés sur le sol, une étrange tâche noire sur le corps qui s'étendait lentement et devant lui se tenait Amadeus, souriant poliment avec ses traits presque féminins et ses yeux vairons, le décalage entre les deux scènes devait être terrifiant pour lui. Amadeus ne semblait pas avoir réellement souffert du combat si on excluait la profonde entaille sur sa main dont le sang goutait en produisant un bruit mat en tombant sur le sol du toit. Balbutiant des paroles incompréhensibles, le garçon recula, son teint était devenu blafard et un sentiment d'épouvante indescriptible avait envahi ses yeux. Dans un moment de désespoir, il finit par tenter d'empoigner Aurelia comme pour l'utiliser comme protection contre Amadeus ou peut-être espérait-il l'utiliser comme monnaie d'échange. Gardant son éternel sourire courtois plaqué sur son visage, Amadeus posa ses prunelles froides comme la mort sur le garçon dont les jambes commençaient à trembler, il s'exprima de son habituelle voix polie et calme dont il ne se départait que très rarement.

"Relâches la. Un otage ne te sert à rien dans cette situation. Si tu veux t'en prendre à quelqu'un, prends en toi à toi-même car c'est ta faiblesse et tes mauvais choix de vie qui t'ont amené jusqu'ici."

Amadeus continua à avancer avec la ferme intention de mettre fin à cette situation au plus vite, il devait encore nettoyer l'endroit et effacer ses traces, il n'avait pas de temps pour ces enfantillages.

Le regard calculateur d'Amadeus était rivé sur le garçon et son otage, il cherchait une ouverture pour mettre à terre le garçon mais aucune opportunité ne se présentait et Amadeus commençait à perdre patience. Il ne pouvait attendre plus longtemps, un gardian pouvait arriver à tout moment, alerté par le bruit. Mais à l'instant où Amadeus songea à passer à l’offensive malgré la présence d'Aurelia, il chose étrange se produisit. Depuis un moment déjà les objets qui flottaient attaquaient aussi bien le garçon qu'Amadeus, la chose était déplaisante mais cela faisait longtemps pour Amadeus que la douleur physique ne signifiait plus rien, son seuil de tolérance était particulièrement haut grâce aux années de torture quotidienne que lui avaient infligé son père. Mais pour une raison qu'Amadeus ignorait, la chose cessa soudainement et les objets se retournèrent contre Aurelia, Amadeus n'avait jamais vu un pouvoir se retourner contre son utilisateur et ignorait jusqu'ici que cela fut possible, un frisson d’horreur le parcourut à l'idée de ce qui arriverait si son propre pouvoir se retournait contre lui.

Visiblement lui aussi interloqué par la situation, le garçon relâcha sa victime et fit quelques pas en arrière, Amadeus comprit immédiatement qu'il s'agissait là de l'opportunité qu'il attendait, il fonça sur le garçon et le percuta à pleine vitesse. Ils roulèrent tous les deux sur le sol du toit, la chose valut quelques écorchures à Amadeus mais il n'en avait cure, il était restait assez longtemps au contact du garçon, son pouvoir venait de prendre effet, c'était terminé. Se relevant Amadeus contempla son œuvre, la scène était apocalyptique, le toit était jonché de cadavre en état de décomposition avancé et Amadeus se félicita d'avoir bloqué la porte en arrachant la poignée, si quelqu'un montait sur le toit maintenant la situation serait difficile à expliquer. Néanmoins le pouvoir d'Amadeus allait continuer son travail et d'ici quelques instants il ne resterait du groupe plus que poussières que le vent dispersera.

Il ne restait que deux personnes a avoir été épargnées par le pouvoir d'Amadeus, Aurelia bien sûr et un membre du groupe qu'Amadeus s'était contenté d'assommer. Il s'agissait du garçon déjà présent dans le premier groupe et qu'Amadeus avait blessé à l'avant-bras un peu plus tôt. S'approchant de lui, Amadeus le réveilla par un coup de pied. Lorsqu'il ouvrit les yeux et qu'il l'aperçut le garçon tenta de s'enfuir mais Amadeus le retint en lui agrippant les cheveux et attendit calmement que celui-ci arrête de s'agiter. Lorsque ce fut le cas, Amadeus plongea ses prunelles sans vie dans les yeux du garçon.

"Ne t’inquiètes pas tu vas vivre. Mais désormais toi et tous tes petits copains, du moins ceux qu'il te reste, vous allez travailler pour moi. Si certains refusent tu me donnerais leur nom et je me chargerais de les convaincre. Bien sûr tu ne répéteras rien de ce qu'il s'est passé sur ce toit. Si on te pose des questions, tu n'étais pas là et tu ne sais rien, est-ce bien clair ?"

Le garçon acquiesça puis parti rapidement, il mit du temps à ouvrir la porte du toit et du presque l'enfoncer pour y parvenir, ses bruits de pas raisonnèrent de plus en plus faiblement jusqu'à disparaître totalement. Amadeus était satisfait, son plan avait fonctionné, ce garçon ne répéterait rien de ce qu'il avait vu, il avait bien trop peur, mais il lui obéirait, la terreur qu'Amadeus lui inspirait désormais ferait de lui un bon petit soldat. Amadeus n'avait que peu de respect pour les délinquants mais une chose était sûre, il se passait peu de choses dans une école sans qu'ils en soient très rapidement informés. Amadeus allait les utiliser comme un réseau d’information. L'information était une élément vital de toute action, c'était l'une des choses qui lui manquait depuis son arrivée à Yokai et il venait enfin d'y remédier. Le regard d'Amadeus se posa enfin sur Aurelia qui s'était une nouvelle fois recroquevillée dans un coin. Amadeus avait du la terrifier, mais comme toujours avec lui, son plan passait avant tout le reste. Il s'approcha néanmoins de la jeune fille, restant à bonne distance, pour ne pas qu'elle se sente agressée. Il s’accroupit pour se mettre à sa hauteur. Parlant avec douceur, il tenta une nouvelle fois de rassurer la jeune fille :

"Calmes toi Aurelia, je t'ai déjà dit que je ne te ferais aucun mal. Si tu es incapable de me croire à présent, alors supportes le encore quelques instants."

Amadeus avait même dans l'idée de partir du toit immédiatement, craignant toujours l'arrivée d'un gardian, mais il avait utilisé son pouvoir pendant une période prolongée et il ressentait l'intense fatigue que cela impliquait. Il se laissa tomber une nouvelle fois contre la barrière et ferma les yeux pour se reposer maintenant que tout danger était écarté.

La tête lui tournait et le sang lui battait les tempes. La sensation s'accompagnait de hauts le cœur. Comme à chaque fois qu'il utilisait son pouvoir de façon prolongée, une espèce de contre-coup venait frapper Amadeus, une intense fatigue l'accablait et il sentait qu'il pourrait dormir pendant des jours entiers. Fort heureusement la sensation, bien que fort désagréable, n'était que passagère et Amadeus savait qu'il irait bien mieux sous peu. Néanmoins utiliser ce pouvoir se faisait à un prix, il le savait et à chaque nouvelle utilisation il sentait la partie de son âme qui était devenue noire et desséchée après qu'il ait accepté le démon en lui, s'étendre et se renforcer. Il perdait quelque chose petit à petit mais il n'arrivait pas à mettre le doigt sur quoi, il avait l'impression de mourir un peu plus à chaque utilisation mais peu lui importait ce qui l'attendait au bout de sa route, si cela lui permettait d'atteindre son but alors le sacrifice, quel qu’il soit, était justifié.

Lorsqu'il rouvrit les yeux c'est avec surprise qu'il découvrit que les objets étaient toujours en train d'assaillir Aurelia, quelle pouvait bien en être la raison ? Amadeus avait supposé qu'elle avait perdu le contrôle de son pouvoir à cause de la panique et que désormais que tout danger était écarté elle se calmerait et reprendrait le dessus. Sa perte de contrôle devait donc être liée à quelque chose de plus profond que la simple attaque d'il y a quelques instants. Se rappelant ses paroles d'un peu plus tôt, Amadeus comprit assez rapidement qu'elle devait inconsciemment penser mériter le traitement qui lui était infligé. C'était après tout quelque chose de possible au vu de ce qu'il avait pu observer d'elle, elle se prenait pour un monstre à cause de son pouvoir, elle le lui avait dit elle-même, sa conclusion sur le fait que son pouvoir se retourne contre Aurelia lui semblait donc probable mais bien sûr sans connaître avec exactitude son passé, il était complexe de l'affirmer catégoriquement.

Comme à chaque fois qu'il utilisait trop son pouvoir, son cœur était plus froid que d'habitude, sa capacité même à ressentir des émotions semblaient avoir disparue, il se faisait l'effet d'une machine, glaciale et implacable, un être de logique pure qui ne raisonnait qu'en terme d'efficacité. C'est pourquoi la première pensée qui lui traversa l'esprit fut qu'il devrait l'éliminer elle aussi avant qu'elle ne finisse par attirer l'attention de quelqu'un. C'était le plus rapide, le plus efficace. La seule chose qui le retint, comme toujours lorsqu'il était dans cet état, fut le souvenir de sa sœur, elle l'avait empêché de devenir l'être haineux et cruel que son père avait voulu créé. Reprenant peu à peu ses esprits Amadeus et analysa calmement la situation, en temps normal il aurait utilisé son pouvoir sur les objets, une fois que plus aucun objet mobiles n'aurait été présent son pouvoir n'aurait plus présenté de danger pour Aurelia, néanmoins il venait déjà d'utiliser son pouvoir de manière importante et il savait qu'il devait éviter d'enchaîner les utilisations trop proches dans le temps. Il ne lui restait donc qu'une seule solution s'il voulait faire réagir Aurelia, du moins il n'en voyait qu'une. S'approchant d'elle, il l'attira contre lui et utilisa son corps comme bouclier pour la protéger des objets qui volaient autours d'eux.

"Désires-tu tant que ça souffrir ? Et que vas-tu bien pouvoir accomplir en faisant ça ? Si tu regrettes certains de tes actes passés, alors trouves un moyen de t'amender sinon continues juste à avancer et ne regardes plus en arrière."

Ces paroles avaient quelque chose d'ironiques de la part de quelqu'un d'autant prisonnier de son passé qu'Amadeus. Les objets avaient commencé à frapper Amadeus, la sensation d'être lapidé vivant n'était pas très agréable mais son bourreau de père lui avait infligé tellement pire que cela faisait des années qu'il avait appris à supporter la douleur sans rien laisser transparaître.

Les objets s'étaient arrêtés, la jeune fille avait repris le contrôle sur son pouvoir. Le dos d'Amadeus était endolori, s'écartant d'Aurelia, il s'étira légèrement pour faire partir la douleur. Il aurait quelques ecchymoses demain et il allait surement passer un mauvaise nuit, néanmoins il survivrait et la chose ne l'émouvait pas outre mesure, chaque seconde passée avec son père avait été bien plus éprouvante que cela, les cicatrices qui lui parcouraient tout le corps pouvait en témoigner.
Aurelia avait parlé, fait assez rare pour être noté, sa voix était hésitante, elle butait sur les mots et dut s'y reprendre à plusieurs fois. Amadeus se demandait quand était la dernière fois qu'elle avait été capable de soutenir une conversation, la chose devait dater ! Amadeus était impressionné par la chose, faire du mal à une personne au point d'en atteindre sa capacité à s'exprimer n'était pas chose aisée, cela requérait du temps et des sévices infligés régulièrement, il fallait aussi s'attaquer à la psyché de la personne pour créer un blocage psychologique.

Aurelia s'était excusée avant de fondre en larmes, Amadeus ne voyait pas très bien pourquoi elle pleurait, elle ne l'avait pas attaqué volontairement et quand bien même cela serait le cas, il ne souffrirait que de blessures très légères, il n'y avait pas de quoi en faire toute une histoire. Amadeus essuya doucement les pleurs de la jeune fille puis lui ébouriffa les cheveux, il avait pris soin de faire des mouvements lents pour ne pas qu'Aurelia se sente agressée.

"Ne t’inquiètes pas, j'ai connu pire. Si tu culpabilises alors promets moi que tu ne répéteras rien de ce qu'il s'est passé sur ce toit et je te pardonne."

Il ne s'était pas exprimé sur le ton de la menace mais il était toutefois sérieux à ce sujet, il ne souhaitait pas, pour des raisons évidentes, que cela s'ébruite. Bien évidemment si quelqu'un parlait il nierait tout, et ce serait sa parole contre la sienne, après tout les preuves étaient en train d'être emportées par le vent.