Pour certaines personnes, le changement est quelque chose d’hostile. Se dire « je vais vers l’inconnu » se traduit par la formation d’une boule. D’une pression au niveau du bas ventre qui à chaque pas se met à varier. La pression se transforme en une sensation. La sensation est récupérée par le cerveau et du coup, on pense à la simple phrase « fais-je vraiment le bon choix ? ». Et là, un peu perdu comme lors d’un temps d’hiver gouverné par le brouillard, on n’avance pas, on piétine et on ne fait rien.

Cette sensation, je l’ai déjà vécue maintes fois et je la vis encore. Par exemple : quand il me faut adresser la parole à quelqu’un, j’ai cette boule qui me prends, parfois au ventre, parfois à la gorge. Je n’ai jamais vraiment réussi à parler facilement avec les autres. Je ne sais au final pas pourquoi car je reste quelqu’un de curieux. Mais à chaque fois qu’il me faut demander quelque chose car je n’ai pas le choix de faire autrement, ça me prends et je me sens mal. J’aurais espéré que ce soit par manque d’habitude. Mais mon calme lors de ces instants là n’a jamais dominé ma nervosité. « Foutue psychologie », « Si j’étais bavard », tant de plaintes qui n’ont aucun impact sur mon comportement. Et après quelques secondes d’hésitation ou je me sens plus ridicule que la personne la plus ridicule, je finis par parler avec quelques mots espacés par quelques bégaiements. Généralement, je me sens un peu mieux après. Pas plus confiant, mais au moins, j’ai parlé et la balle n’est plus de mon côté. « Chose faite » comme on dit. Bref, je dérive …

Le changement, c’était maintenant, car j’avais réussi à m’inscrire au sein de cet établissement dont je suis pourtant interdit de m’inscrire. Et bizarrement, je n’ai pas peur de ce qui peut m’arriver. L’optique du « je n’ai pas grand-chose à perdre » y est pour beaucoup. D’un côté, passer du collège à n’importe quoi pouvait difficilement être pire. Quoi que je m’avance peut-être dans cette logique. Tout cela amène à ma présence au sein de ce couloir avec ma valise. Je regarde un peu à droite et à gauche les personnes autour de moi mais pas trop non plus. Car ils pourraient me rendre la pareille et je n’en serais que plus mal à l’aise. Je ne vois pas non plus d’êtres au physique fort différent d’un humain normal. Les livres aiment bien extrapoler. Ça me semble du coup bien intéressant …

Et sinon ma destination ! La chambre 5. Une chambre dont je ne sais absolument rien pour la simple raison que je n’ai pas demandé plus d’indications. J’imagine à mon désarroi que les chambres dans ce genre d’institut sont à plusieurs. Une fois j’ai fait une colonie de vacances, les chambres étaient alors de six : trois lits superposés pour le gain de place. Et ce n’était pas la joie. Car avec tout ces gens, ça devenait bruyant. Trop pour moi. Mais je ne m’avance pas dans ce à quoi devrait ressembler ma chambre. Je n’ai qu’à y entrer pour savoir à quoi va ressembler mon nouveau chez moi. Et donc je compte : porte 1, porte 2, 3,4 et enfin 5 comme le montre l’inscription. Je sors alors mes clefs pour ouvrir la porte puis je brandis la poignée légèrement pour enfin ouvrir la porte et commencer à y mettre un pas. Sauf que là, je m’arrête car j’ai oublié quelque chose. Je finis un mouvement de recul pour ensuite prendre une inspiration. Et si l’endroit était occupé et que je venais interrompre quelqu’un ? Je toque et attends une éventuelle réponse.

L’action est faite. Je regarde ma main qui s’abaisse lentement après avoir donner le signal. Depuis, je respire lentement avec comme question répétée « occupé ou pas occupé ? ». J’espère la deuxième, ce serait plus simple pour moi d’emménager dans une chambre où je suis seul. La première chose que je pourrais alors faire serait de choisir mon lit, m’allonger et ne rien faire. Juste un moment de repos à l’abri de tout plein de soucis qui pourraient arrivé d’une minute à l’autre : un appel au secrétariat pour signer un papier administratif, une bagarre dans les couloirs, un voleur qui entre par la fenêtre, etc. Mon imagination ne manque pas d’idées quand il s’agit de me faire des frayeurs. Malheureusement

Pas de réponse. Je m’apprête à enclencher la poignée mais une voix retentit alors assez fortement. J’ai un frisson qui me parcourt le corps. Là viennent s’ajouter trente milliards de questions dans ma tête. Pression, pression partie, pression, pression, le retour. Je n’aime pas ça du tout. Mais je suis chez moi. Et il faut bien que j’y entre. C’est donc après quelques secondes que je finis par ouvrir la porte et m’engouffrer à l’intérieur de la chambre avec ma valise. La porte, toujours ouverte derrière moi. Et là, je regarde devant moi.

Petit. C’est le premier mot qui me vient en tête en regardant la pièce qui se dresse devant mes pupilles. Je peux plus ou moins estimer la longueur qui me sépare des fenêtres à l’autre bout. Environ cinq mètres. La pièce n’est sinon pas éclairée. Des rideaux empêchent les rayons du soleil de percer. Aucune source de lumière artificielle n’éclaire l’endroit. C’est un peu calme et je n’aime pas ça. Ça me fait penser à un film d’horreur. Tout va bien quand le cadavre surgit. Par exemple du plafond. Du coup, je lève la tête. Pas de cadavre ! Je soupire de soulagement. Puis, je bascule la tête du côté gauche. Et là, la nature se mêle. J’ai vu. Une étagère. Un lit. Une personne assise emmitouflée dans ses draps. Ma gorge se serre. Mes yeux se figent et je pense un gros « je dois avoir l’air con ». Je fixe une demoiselle assise qui doit se demander qu’est-ce que je fais ici. Le pire est le silence qui prend possession de l’endroit. J’abrège :

« Ah hum … dé…désoléé. Bonjour ! »

Je ne sais pas trop pourquoi je m’excuse. Mon bonjour avait par contre une trop grande intonation à mon goût. J’ai l’impression de l’avoir dit trop fort. Voilà que je m’en veux. D’un côté, je fais un peu irruption dans une chambre déjà occupée. Et de l’autre, c’est ma chambre, donc je n’avais pas trop le choix que de venir ici. Et puis, pourquoi est-elle ici ? L’heure était aux cours, pas à la sieste. A moins que je n’avais raté une ligne dans le règlement ? Non, c’était impossible. Mais que faisait-elle donc là ? Puis le fait que le silence se remet à peser me hante.

« ça te dérange si je m’installe ? »

La question avait été dit très rapidement pour tuer le calme. Je sentais maintenant mes joues devenir rougent. Pourquoi diable fallait-il que je me fasse remarquer de cette façon ? Je baisse donc la tête. Voilà qui est gênant comme moment.