La journée avait bien commencée. Il faisait particulièrement beau et la soirée s'était avérée particulièrement riche en émotions. La cantatrice reçue ce jour là avait fait pour ainsi dire un carton et la soirée qu'elle avait passé avec lui avait permis d'agrandir encore sa culture. C'était dans ces moments là que Lysandre était la plus enjouée. L'appel du savoir était sa sirène. Seulement, il n'y avait dans ce métier beaucoup de points positifs, mais pas mal d'obligations. Les salles devaient être particulièrement propres, le service soigné et les employés compétents. Le moindre défaut un soir de première pouvait nuire à l'établissement. Et une réputation tâchée ne peut se nettoyer qu'au prix d'efforts maintenus pendant des dizaines d'années. Elle ne le savait que trop bien, et c'est pour cela qu'elle limitait au maximum le nombre d'employés. Moins on en dirige, plus on est certains du service rendu.

Voilà donc pourquoi elle était là, en personne, en ville. Certains parfois l'arrêtaient pour lui demander un autographe, d'autres se contentaient de la regarder de haut en bas comme si elle sortait d'un freak show de mauvais goût.

« Hé toi la bas, t'as piqué sa robe a Molière ?»

Elle ne répondit même pas. Elle avait l'habitude, mais plus encore, elle ne s'était jamais souciée de ce genre de détails. Elle réussissait sa vie comme elle l'entendait et n'avait nullement besoin de l'aval de la jeunesse masculine pour se sentir bien. Elle savait ce qu'elle devait faire et s'appliquait à le faire de la meilleure manière possible. Et cela passait par le choix de la nourriture servie sur le buffet, l'achat de la tenue réglementaire pour les ouvreuses et les employés, l'achat de décorations discrètes pour l'établissement, la recherche d'amateurs d'art. Elle se devait de promouvoir son établissement et de faire toujours bonne figure pour en protéger l'image. Et tout se faisait ici. Au milieu d'une foule plus ou moins compréhensive.

La matinée était déjà bien avancée, et l'envie d'un thé se faisait de plus en plus pressante. Elle se dirigea donc vers son café de prédilection et en commanda un noir. Sans sucre. Elle avait encore beaucoup de choses à faire, mais elle méritait tout de même une petite douceur. Après tout, la nuit avait été particulièrement courte.

La situation n'était pas catastrophique, mais elle pourrait le devenir. Le manque d'intérêt grandissant pour la culture un peu recherchée était une menace constante, et surtout de plus en plus grande. Son établissement était prestigieux, mais parfois bien vide. Et pourtant, dieu sait que l'offre est au moins quatre fois plus variée qu'au Cinéma. Elle rêvait silencieusement d'un monde ou tous ces thèmes nouvellement abordés seraient adaptés au théâtre et non sur un quelconque écran. Chez elle, il n'y avait que les costumes et le jeu d'acteur qui en mettaient plein les yeux. Équilibristes de l'art, ils n'avaient pas le droit à l'erreur. Elle jouait, l'air distraite, avec le sachet de sucre qu'elle n'utiliserait de toute façon pas. Elle était contrariée, mais jouait suffisamment bien la comédie pour contenir toute sa rage dans un simple petit mouvement frénétique du bout des doigts.

« Les habits de Molière..Tss. C'est bien évidemment une robe de Style Empire. Qu'ont ils donc dans la tête si ce n'est du vide. »

Ce genre de manque cruel de culture avait souvent pour conséquence principale de lui ôter toute philanthropie. -Ce qui finalement dans cette situation précise était ironique. -  Elle devait trouver des idées pour renouveler son institution. Les possibilités étaient nombreuses, restait juste à les mettre en place. Mais pour ça elle avait besoin d'alliés de taille, et d'avenir.

Ses pensées furent certainement entendues, devenant de par la même prières silencieuses. Une voix masculine brisa le silence, à son attention. Elle se troubla un instant avant de porter de nouveau ce masque de froide force.

« Quand ils auront à se sacrifier pour gagner leur vie, je suppose qu'ils songeront de nouveau à ces paroles vides de sens. »

Et finalement, l'homme, loin de la railler lui offrit une main à serrer. Son regard s'égara un instant dans les lignes de cette extrémité et sourit.

« En effet, vous deviez avoir un destin hors norme, c'était écrit..Juste là. »

Elle montra une petite ligne avant de serrer la main.

« Lysandre Leicester. Je présume que mon nom doit vous dire quelque chose? »