[De nos jours, Prague, République Tchèque. Vous êtes dans la peau d’un membre important de la famille de Meredith Bishop. Celle-ci vous a fait venir de loin pour vous demander une aide financière afin d’assurer le transfert de son familier dans un lieu lointain.]Une pièce coquette, située au plus profond d’une petite maison de nobliau, coquette elle aussi. Vous promenez votre regard sur la décoration de type victorienne, chargée mais pleine de souvenirs et d’authenticité. Assis sur une chaise confortable, vous avez devant vous une petite table ronde destinée à accueillir un service à thé. Sur cette table, des gâteaux soigneusement disposés dans une coupelle attendent que vous les goûtiez. Mais au moment même où vous allez vous saisir d’un de ces délicieux biscuits, la porte située à votre droite s’ouvre dans un grincement caractéristique des anciennes bâtisses. Une femme d’âge mûr apparait dans l’encadrement. Elle vous sourit chaleureusement et s’approche de vous après avoir soigneusement refermé la porte derrière elle. Vêtu d’une charmante robe blanche et d’un châle en velours, Meredith Bishop vous semble plus rayonnante que jamais. Pas de doute, depuis la dernière fois où vous vous êtes vu, elle n’a pas changé. Les dames de cette envergure ont la vieillesse gracieuse.
C’est gentil à toi d’être venu.
Vous acquiescez en silence, aviez-vous d’autre choix ? Quoiqu’il en soit, vous êtes ici pour vous renseigner, et ça, votre charmante hôtesse l’a parfaitement saisi.
J’ai réellement besoin de cet argent, ne m’oblige pas à étaler ma situation devant le reste de la famille.
Comment se fait-il qu’il ait reçu cette convocation Meredith ? Il n’est pas supposé, je veux dire, c’est un familier. Tu ne l’as jamais clairement exposé à aucun membre de notre famille et je ne crois pas aux mensonges que tu as racontés à Dulcie à son propos. Explique-moi.
Meredith, qui était restée jusqu’à présent les yeux fixés sur la coupelle remplie de gâteau, darde soudain son regard bleuté sur vous. Loin de vous démontez, vous la regardez dans les yeux, attendant la réponse à votre question…qui ne tarde pas à arriver.
T’expliquer son importance à mes yeux…Je crois que je ne peux y échapper n’est-ce pas ? Bien, c’est une longue histoire que je vais te raconter, et je te prie de ne pas me couper la parole, tu sauras tout ce que tu dois savoir.
Triomphant, et rongé par la curiosité, vous vous installez plus confortablement sur votre chaise et croisez les bras. Meredith détourne la tête et son regard se fait vague tandis qu’elle semble observer la pluie ruisseler sur la fenêtre juste à coté de la table.
Cette histoire commence il y a de cela beaucoup, beaucoup d’années. A vrai dire, au commencement même de notre lignée. Les détails que j’ai entendu de sa bouche ainsi que les divers récits entreposés à la maison mère semble s’accorder. L’invocation de Merrin a eu lieu vraisemblablement en l’an 1690, à Salem.
Le visage de Meredith s’assombrit quelque peu tandis qu’elle s’éclaircit élégamment la gorge avant de continuer, ignorant vos yeux remplis d’impatience.
Je ne crois pas devoir te rappeler les tristes évènements de Salem, la source de notre Exode. A cette époque, à Danvers, vivait notre plus vieille ancêtre connue. C’est d’elle que je tiens mon doux prénom, et je suis fière de le porter. Mérédith était mariée à un homme politique influent que tout le monde désignait par son patronyme « Bishop ». L’homme avait le bras long, de l’influence, c’était un chrétien investi, et surtout, il ignorait tout de la véritable nature de sa femme et de la fille qu’ils avaient eu ensemble. La version officielle de la suite des évènements fait état de la culpabilité de Meredith et de sa fille en tant que pratiquante de la sorcellerie. Bishop, fou de trahison, serait alors devenu un membre très actif de la chasse aux sorcières, menant à la mort bon nombres de jeunes femmes.
Je lis dans tes yeux que tu es curieux de connaître la version officieuse. En effet, si la fille de Bishop était réellement morte aux cotés de sa mère cette année là, notre lignée serait morte avec elle.
Le soupir de Meredith interrompt son récit l’espace de quelques secondes, votre regard gêné parcours alors la pièce pour se donner une contenance et tombe sur un spectacle quelque peu intriguant. Sur le canapé qui trône dans le petit salon est posée une peluche. Celle-ci, déchirée, démembrée, semble avoir été la proie de coups de ciseaux répétés, ou tout bonnement la victime malheureuse d’un voyage dans le mixeur de la cuisine. Le grincement de la porte se fait de nouveau entendre et vous voyez de petits doigts se glisser sur le battant pour l’entrouvrir. Le regard dépareillé d'un enfant rencontre le votre. Il semble évident que le garçon écoute votre conversation depuis quelques minutes. Mérédith remarque votre malaise et se tourne vers le nouvel arrivant, lui faisant signe d’approcher.
Entre Merrin. Je propose que nous profitions de ta présence pour entendre ce récit de ta bouche. Je vous assure cousin, qu’il raconte cette sombre histoire bien mieux que je ne le saurai.
L’enfant, non, le familier à forme humaine, s’approche de vous, se drapant de dédain. Il se saisit d’une petite patisserie puis va s’installer sur le canapé à coté de la peluche malmenée. Lorsqu’il ouvre enfin la bouche, sa voix, jeune, vous semble pourtant éraillée comme celle d’un vieillard.
Voulez-vous connaître mon premier souvenir cher ‘cousin’ ? C’est encore limpide dans ma tête. La première fois que j’ai posé les yeux sur le monde physique, celui auquel je n’appartiens à l’origine pas. J’étais allongé dans le plus simple appareil à coté du cadavre d’une femme, au milieu d’un pentacle tracé au sang. Le premier visage qui m’accueillit était celui d’une petite fille, déformé par l’horreur. Je la reconnu tout de suite comme mon invocatrice, néanmoins, l’homme qui la retenait par les cheveux m’apparu comme le véritable marionnettiste de l’histoire.
Meredith suspend son récit d’un geste de la main et il obéit, préférant prendre une bouchée de sa mignardise. L’intervention de votre noble cousine laisse à votre esprit le temps de divaguer sur le passé de ce garçon. Mais rien n’est finit au vue du sourire étrange qu’affiche votre hôtesse.
Comprends-tu ? Bishop a utilisé le pouvoir de sa fille Mary et le corps encore chaud de sa femme pour invoquer un familier. C’était un homme plein de ressource, il faut le reconnaître. Je ne t’apprends rien en te disant que la forme d’un familier est déterminée par la fonction que le quêteur souhaite lui donner, oui ? Et bien visiblement, Bishop a réussi à influencer le rituel grâce à l’emprise qu’il avait sur sa fille, un humain te rends-tu compte? la pauvre lui a fournit une carte joker contre sa propre espèce en même temps qu’une raison de la garder en vie. Car si l’invocatrice décède, le familier disparaît avec elle, et Merrin était bien trop précieux pour son projet. Un outils d’inquisition, il voit le mensonge et sait se soustraire aux regards. Je pense malgré tout que Mary est la source de son apparence de bambin.
Dame Mérédith était enceinte lorsque Bishop l’a assassinée, Mary voulait un petit frère, c’est aussi simple que ça. Je le sais car elle me le répétait souvent, lorsque nous nous cachions sous les draps le soir. J’étais heureux de pouvoir jouer ce rôle pour elle… Autant que faire se peut, lorsque je n’étais pas avec Bishop.
Vous regardez Merrin qui vient de parler, jetant cette information comme un détail insignifiant qu'il avait cru bon de dévoiler. Affalé gracieusement sur la causeuse, il joue avec une mèche de cheveux égarée sur son front.
J’étais soumis à la volonté de Mary, et Mary était soumis à la volonté de Bishop. Il m’emmena avec lui chasser toute ces sorcières pendant des mois. Souvent, nous frappions chez ces pauvres femmes, et il se contentait de poser une seule question : « Etes vous une sorcière ? » puis me concertait selon la réponse donnée. Lorsqu’elle ne lui plaisait pas, il appliquait sa justice sans procès et puis nous repartions jusqu’à la prochaine maison, souvent les mains souillées de sang. J’étais satisfait de mes activités, je me rendais utile à travers mes capacités. Mais le soir lorsque nous rentrions et que Bishop battait Mary jusqu’au sang, je voyais que ce que je faisais ne la satisfaisait pas tant que ça.
Le rire cristallin de Merrin retenti un instant dans la pièce chargée de meubles, vous sursautez presque, surpris d’une telle réaction vis-à-vis de ce souvenir. Le dégout envers cette créature vous envahi, et il le lit sur votre visage.
Je n’avais aucune sorte de respect pour elle à cette époque, mais je ne la haïssais pas. Je l’aimais même beaucoup, mais quelque part je sentais qu’elle n’était pas mon véritable maitre. Oh comme je me trompais…j’étais encore inexpérimenté, je ne comprenais pas l’attirance que j’avais pour le sang des victimes de Bishop, ni que celle-ci était lié à mon lien avec Mary. Chaque soir, son père lui ouvrait de nouvelles blessures, et le lendemain, elles avaient disparues, car notre lien les avait soigné. Tout ce que cela demandait, c’était un peu de sang. Une fois qu’elle l’eut compris, elle devint le maitre que j’avais attendu et nous avons assassiné Bishop quelques jours plus tard. Il ne s’était pas méfié de l’enfant meurtrie. Il faut toujours se méfier des enfants meurtris.
La pluie s’arrête, laissant les gouttes stagnantes glisser doucement au bas de la fenêtre sans volets. Meredith étouffe un rire léger avant de se lever de sa chaise pour marcher doucement vers le canapé où se trouve l’enfant. Elle lui caresse les cheveux puis se tourne vers vous.
Merrin est resté au coté de notre ancêtre toute sa vie, sans vieillir ni grandir. Avant sa mort, Mérédith renouvela son pacte avec sa propre fille. Le rituel s’est transmis sur toute sa descendance directe, jusqu’à moi. Une fidélité admirable.
Son regard se fait tendre et maternel envers Merrin, puis elle revient vers vous et effleure votre main gantée de la sienne. Vous soupirez, ne connaissant que trop le coté mielleux de Meredith. Le sucre coule dans sa voix autant que la tristesse lorsqu’elle reprend la parole.
Mais notre lien s’effrite à mesure que mon pouvoir me quitte, je n’ai pas eu d’enfant, et j’arrive au crépuscule de ma vie. Je ne veux pas laisser l’existence de Merrin s’arrêter avec moi. L’idée m’est insupportable. Il souhaite choisir son prochain quêteur, et je ne peux le lui refuser après tant d’années passées à nous servir. Je ne sais pas comment ces gens ont découvert son existence, ni pourquoi ils nous ont envoyé cette lettre. Mais je vois cela comme un signe.
Vous fuyez son contact. Prêter l’argent pour son voyage n’est pas le problème, Vous étiez arrivé avide de questions au sujet de ce familier séculaire qui semblait envahir l’esprit de votre cousine. Tout le monde en parlait, mais vous l’aviez rencontré. Tueur de sorcière, il avait passé sa vie en compagnie de grands noms de leur lignée aujourd’hui essouflés. Des noms tâchés d’histoires morbides pour la plupart. Etait-i bien sain d’envoyer un esprit ainsi souillé loin de toute surveillance ? N’était-il pas plutôt venu le temps que tout s’arrête avec la mort de sa dernière maitresse ?
Devinant vos pensées, Meredith vous adresse un dernier regard appuyé, Meredith se dirige la tête haute vers la porte où elle était apparue quelques minutes plus tôt et l’entrouvre pour sortir.
S’il te plait, réfléchis-y. Je me trouve devant toi, payant le prix de mes excès, mais je pense que tu m’es redevable de bien plus que ce que je te demande. Nous le savons tous les deux.
Elle disparaît et le dénommé Merrin se lève du canapé, tenant sa peluche déchiqueté dans ses bras. Il traverse le tapis persan d’un pas léger jusqu’à la porte. Avant de disparaitre dans l’entrebâillement, il vous sourit à nouveau et commence à rire tout seul en s‘éloignant dans le couloir, comme si il venait de vous infligez la pire des humiliations qui soit.
[Après cet entretien, vous avez finalement décidé de prêter l’argent nécessaire au voyage de Merrin, dans l’espoir secret de ne plus jamais vous retrouver dans la même pièce que lui. Vos dettes envers votre cousine rappelées à votre bon souvenir ont également fait penché la balance en votre défaveur. Il semblerait finalement que vous n’ayez jamais eu véritablement votre mot à dire sur toute cette histoire.
A l'heure d'aujourd'hui, Merrin est en route pour le lycée Yokai, sans intentions de retour. Et tant mieux. ]